Film français de Julien Colonna (2024), avec Ghjuvanna Benedetti, Saveriu Santucci, Anthony Morganti, Andrea Cossu, Frédéric Poggi, Régis Gomez, Éric Ettori, Thomas Bronzini de Caraffa, Pascale Mariani, Marie Murcia, Attilius Ceccaldi, Ghjuvanni Biancucci, Joseph Pietri, Alexandre Joannides, Toussaint Martinetti… 1h48. Sortie le 13 novembre 2024.
En quelques années, le cinéma corse a acquis une véritable légitimité sous l’égide de quelques fortes personnalités parmi lesquelles figure en bonne place Thierry de Peretti, le premier à avoir levé un coin du voile dans Les Apaches (2013) et Une vie violente (2017), en mettant son art de la mise en scène éprouvé au théâtre au service d’une immersion jamais artificielle dans ces zones d’ombre de l’Île de Beauté que le cinéma traditionnel s’était refusé à visiter, à l’exception d’Orso Miret dans Le silence (2004) et de la série Mafiosa (2006). Cet automne marque une nouvelle étape déterminante dans l’épanouissement de ce phénomène avec À son image de Thierry de Peretti, Le Mohican de Frédéric Farrucci présenté à la dernière Mostra de Venise (sortie le 12 février 2025) et aujourd’hui Le royaume de Julien Colonna découvert au Festival de Cannes, sans même mentionner la comédie de Nicolas Benamou On aurait dû aller en Grèce programmée elle aussi le 13 novembre qui joue quant à elle sur la splendeur touristique des lieux souvent exploitée depuis L’enquête corse d’Alain Berbérian, il y a déjà vingt ans et dépeinte sous un jour plus réaliste dans Le retour de Catherine Corsini. Julien Colonna puise au plus profond de l’âme corse en s’attachant au rapport d’une jeune fille avec son père, un caïd local contraint de prendre le maquis. Un personnage monolithique et peu disert pétri de contradictions que son statut contraint à se montrer impitoyable, tandis que son rôle de père passe par de réels élans de tendresse quand il consent à fendre l’armure du guerrier.
Saveriu Santucci et Ghjuvanna Benedetti
Le royaume, c’est cet univers parallèle et utopique ou plutôt ces décombres de paradis perdu où vit terrée cette figure paternelle d’autant plus puissante qu’elle est intermittente et demeure suspendue à la clandestinité dans laquelle elle est confinée pour ne pas s’exposer à ses ennemis invisibles. On retrouve dans le film de Julien Colonna des similarités troublantes avec certaines œuvres du cinéma italien qui se déroulent en Sicile ou en Sardaigne et ont pérennisé la tradition d’une Mafia toute-puissante qui a fini par se substituer à un État défaillant en entretenant une économie souterraine lucrative. Le réalisateur italien Jonas Carpignano a témoigné lui aussi de ce phénomène dans sa trilogie calabraise Mediterranea (2015), A Ciambra (2017), A Chiara (2021), en soulignant les dégâts collatéraux subis par le cercle familial le plus intime. Le royaume confronte ainsi deux regards divergents sur une société schizophrène qui semble ne pas vraiment avoir évolué depuis la nouvelle “Colomba” de Prosper Mérimée… en 1840 ! À cette nuance d’importance que près de deux siècles plus tard, les héros sont épuisés par leur vain combat dont l’issue est tracée. Il convient de signaler ici la qualité du casting de cette chronique désenchantée. Face à la lumineuse révélation que constitue Ghjuvanna Benedetti, le colosse chauve Saveriu Santucci impose une autorité pétrie de vulnérabilité. C’est tout le mérite de Julien Colonna d’avoir osé imposer de nouveaux visages afin de conférer davantage de chair à cette histoire éternelle qui est en fait celle d’une transmission qui ne dit jamais son nom et renvoie à l’importance du clan comme élément constitutif de la société patriarcale corse, sans l’ombre d’un lieu commun. Sous le soleil exactement.
Jean-Philippe Guerand
Commentaires
Enregistrer un commentaire