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Berlinale Jour 2 - Mardi 2 mars 2021



Mr Bachmann and His Class (Herr Bachmann und seine Klasse) de Maria Speth (Compétition)

Documentaire. 3h37

Dieter Bachmann est enseignant à l’école polyvalente Georg-Büchner de Stadtallendorf, dans le Nord de la province de Hesse. Au premier abord, il ressemble à un rocker sur le retour et mêle d’ailleurs à ses cours la pratique des instruments de musique qui l’entourent. Ses élèves sont pour l’essentiel des enfants de la classe moyenne en majorité issus de l’immigration. Une particularité qu’il prend constamment en compte pour les aider à s’intégrer dans cette Allemagne devenue une tour de Babel, sans perdre pour autant de vue leurs racines. La pédagogie exceptionnelle de ce professeur repose sur son absence totale de préjugés et sa foi en une jeunesse dont il apprécie et célèbre la diversité. Le documentaire fleuve que lui a consacré la réalisatrice allemande Maria Speth se déroule le temps d’une année scolaire au cours de laquelle le prof et ses élèves vont apprendre à se connaître et à s’apprécier, en se nourrissant les uns des autres. Il s’inscrit par la puissance de sa parole dans la lignée d’œuvres aussi diverses que Le cercle des poètes disparus (1989) de Peter Weir, Être et avoir (2002) de Nicolas Philibert ou Entre les murs (2008) de Laurent Cantet, en célébrant la figure de l’instituteur comme un acteur déterminant de la citoyenneté. Un message qui fait particulièrement chaud au cœur dans la période actuelle.


Dieter Bachmann et deux de ses élèves

© Madonnen Film



Le monde après nous de Louda Ben Salah-Cazanas (Panorama)

Avec Aurélien Gabrielli, Louise Chevillotte, Saadia Bentaïeb, Jacques Nolot, Léon Cunha da Costa, Mikaël Chirinian, Hyacinthe Blanc, Noémie Schmidt… 1h25

Encouragé par le succès d’estime remporté par une de ses nouvelles, Labadi rêve de devenir romancier pour refaire le monde. En attendant, il doit se débattre dans une vie étriquée, partage une chambre de bonne avec son meilleur ami et aligne les petits boulots alimentaires, tout en cachant son dénuement à ses parents qu’il adore d’autant plus qu’ils se gardent bien de le harceler de questions gênantes. Alors quand il rencontre Elisa, une étudiante, le jeune homme désargenté craint en permanence de la décevoir et de ne pas être à la hauteur… Pour son premier long métrage, le réalisateur Louda Ben Salah-Cazanas a choisi de témoigner de cette génération condamnée à céder au nouvel esclavagisme imposé par les Gafa, en affrontant l’entrée dans l’âge adulte sur fond d’incertitude et de précarité. Il choisit pour alter ego le comédien Aurélien Gabrielli qui exprime parfaitement cet état mêlé d’ambition et de découragement, en lui associant la diaphane Louise Chevillotte, actrice résolument intemporelle croisée chez Philippe Garrel avec le cinéma duquel Le monde après nous cultive par ailleurs des connivences troublantes, sur le registre classique d’un cinéma d’apprentissage solidement ancré dans la société actuelle, même si la pandémie n’est pas encore là. Cette petite musique est de celles qui envoûtent.


Léon Cunha da Costa et Aurélien Gabrielli

© Les Idiots et 21 Juin Cinéma



Anatolia (Okul Tıraşı) de Ferit Karahan (Panorama)

Avec Samet Yıldız, Ekin Koç, Mahir İpek, Nurullah Alaca, Cansu Fırıncı, Melih Selçuk 1h25

Dans un pensionnat perdu dans les montagnes de l’Anatolie orientale, des enfants kurdes subissent un régime sévère qui ressemble parfois à un lavage de cerveau lorsque leurs enseignants turcs les contraignent à nier l’existence du Kurdistan où ils sont nés. Le jour où son copain Memo est victime d’un mal inexplicable, Yusuf doit faire face aux autorités pour le sauver, quitte à jeter le trouble parmi un corps enseignant impitoyable. Au-delà du régime impitoyable imposé à ces gamins d’une douzaine d’années, Anatolia choisit ce cadre pour évoquer les humiliations infligées par le régime ottoman à sa minorité kurde. La mise en scène se met constamment au service d’un récit romanesque qui évite les pièges du manichéisme en instaurant un trouble rehaussé par l’isolement de ce lieu coupé du monde, qui plus est en proie à une tempête de neige. Lui-même pensionnaire pendant six ans dans son enfance, au début des années 90, Ferit Karahan brille tout particulièrement par sa direction d’acteurs, notamment les enfants qui sont tous non-professionnels, ce qui lui permet d’aborder par la bande un sujet éminemment politique en restant toujours à la hauteur de ses jeunes protagonistes dont il ne se lasse pas de filmer les visages expressifs.


Nurullah Alaca et Samet Yıldız
© Diren Düzgün / Asteros Film




Souad d’Ayten Amin (Panorama)

Avec Bassant Ahmed, Basmala Elghaiesh, Hussein Ghanem, Hager Mahmoud, Sarah Shedid, Carol Ackad, Mona Elnamoury… 1h36

Dans une petite ville nichée aux confins du Nil, Souad, 19 ans, se montre aussi respectueuse de la loi coranique quand elle se trouve dans l’intimité familiale qu’elle met à profit les réseaux sociaux pour s’affranchir de sa soumission. C’est le choc de ces deux mondes qu’orchestre Ayten Amin dans ce premier long métrage qui jette un regard inhabituel sur ces femmes égyptiennes, et même plus largement orientales, contraintes de mentir ou de se cacher pour ajouter un peu de fantaisie voire d’ivresse dans leur vie. Les circonstances vont contraindre sa jeune sœur de 13 ans à affronter la réalité de plain-pied pour essayer de comprendre la personnalité secrète de cette aînée qui se cache en permanence pour se protéger. À travers cette subtile mise en abyme, Souad met en évidence le fossé qui est déjà en train de se creuser entre deux générations a priori proches, en prônant un retour salutaire au réel, face à une accumulation de mensonges et de faux-semblants qui font le jeu du patriarcat dominant dans une société où l’illusion est en passe de devenir le cache-misère confortable d’une vérité peu glorieuse. Le féminisme passe aussi par cette confrontation concrète portée ici par une distribution à nette dominante féminine d’où émergent deux comédiennes lumineuses : Bassant Ahmed et Basmala Elghaiesh.


Basmala Elghaiesh et Bassant Ahmed

© Vivid Reels




La Mif de Fred Baillif (Génération)

Avec Claudia Grob, Anaïs Uldry, Kassia da Costa, Amélie Tonsi, Amandine Golay, Joyce Ndayisenga, Charlie Areddy, Sara Tulu… 1h50

C’est une génération un peu plus âgée et exclusivement féminine que met en scène le réalisateur suisse Fred Baillif : les pensionnaires d’un foyer d’accueil dont les éducateurs ne parviennent pas toujours à dompter les pulsions adolescentes. Jusqu’au moment où la directrice qui a toujours considéré ces enfants comme les siens se trouve sur la sellette vis à vis de son autorité de tutelle qui ne transige pas sur la morale. Difficile de dompter ces gamines en proie à des problèmes familiaux parfois terribles et de les empêcher de goûter à une liberté qui va de pair avec l’appel des hormones. Cadrées volontiers caméra à l’épaule, ces demoiselles se comportent moins comme des interprètes que comme leurs personnages et confèrent à ce spécimen de cinéma du réel une incroyable force de vie dont les élans de brutalité et de tendresse évoquent les maîtres du genre, du britannique Alan Clarke au français Maurice Pialat. La Mif dresse sans la moindre complaisance un état des lieux peu flatteur de la prise en charge de la jeunesse en danger dans une Suisse qui nous a rarement donné une image aussi critique de ses structures sociales.


Anaïs Uldry, Amandine Golay, Amélie Tonsi, Kassia da Costa,
Sara Tulu, Joyce Esther Ndayisenga et Charlie Areddy
© Stéphane Gros / Lumière Noire



The White Fortress (Tabija) d’Igor Drljaca (Génération)

Avec Pavle Čemerkic, Sumeja Dardagan, Jasmin Geljo, Kerim Čutuna, Alban Ukaj, Irena Mulamuhic… 1h28

Dans la banlieue de Sarajevo, les cicatrices de la guerre qui déchira l’ex-Yougoslavie dans les années 90 ne sont pas totalement cicatrisées et ne demandent qu’à se rouvrir à la moindre occasion. Alors quand Faruk, un orphelin d’origine bosniaque, a le malheur de tomber en pâmoison pour Mona, une fille réservée issue d’une élite politique serbe influente, les démons du passé resurgissent dans l’esprit de leurs parents et grands-parents. Comme une tache indélébile que rien ne semble pouvoir effacer. Ce Teen Movie des Balkans transpose la trame inusable de Roméo et Juliette dans un pays toujours fracturé par ses vieux démons. Lui-même émigré au Canada, le réalisateur Pavle Čemerkic porte sur son pays natal un regard aussi affectueux que désabusé, en s’en remettant à deux jeunes interprètes merveilleux de naturel. Il dépeint dans son troisième long métrage sa patrie perdue comme ayant tiré un trait malgré elle sur le multi-culturalisme qui faisait la fierté légitime du maréchal Tito et conçoit ce cri du cœur comme une lettre d’adieu. Il adopte pour cela la forme classique d’une romance impossible qu’il conclut par une superbe coquetterie de mise en scène, plutôt que de s’apitoyer, de se révolter ou même d’accepter ce statu quo d’un autre âge.


Sumeja Dardagan et Pavle Čemerikić

© Tabija Film Inc.




The Girl and the Spider (Das Mädchen und die Spinne) de Ramon et Silvan Zürcher (Rencontres)

Avec Henriette Confurius, Liliane Amuat, Ursina Lardi, Flurin Giger, André M. Hennicke, Ivan Georgiev, Dagna Litzenberger Vinet… 1h38

Voici un film plutôt déconcertant. D’abord parce qu’il est suisse allemand et que cette cinématographie est très peu présente sur les écrans français. Ensuite parce qu’il prend pour cadre un déménagement et toutes les névroses qui y sont associées, au moment où la cadette abandonne sa cohabitation avec sa sœur et son beau-frère pour s’installer enfin seule. C’est aussi et surtout le prétexte au portrait de groupe parfois foutraque d’une famille dominée par les femmes, avec en guise de figure tutélaire une mère impitoyable qui n’a visiblement pas prodigué le même amour à ses deux filles et entend aujourd’hui larguer les amarres sur le plan sentimental, quitte à se jeter dans les bras d’un chef de chantier polonais pour se prouver que son âge ne l’empêche pas de séduire. Ce film choral constitue pour ses jumeaux réalisateurs le pan central d’un triptyque sur la notion de groupe ébauché avec le premier long métrage en solo de Ramon Zürcher, L’étrange petit chat, déjà présenté à Berlin en 2013. Dommage que le scénario soit parfois aussi confus, car le regard troublant d’Henriette Confurius (la fameuse fille à l’araignée du titre) vaut à lui seul tous les beaux discours. Comme la nature, le cinéma a horreur du vide.


Liliane Amuat et Henriette Confurius
© Beauvoir Films




Anamnesis (Anmaßung) de Chris Wright et Stefan Kolbe (Forum)

Documentaire 1h51

Voici un film pour le moins singulier qui s’attache au cas d’un assassin condamné à une longue peine, Stefan S. pour le meurtre a priori gratuit d’une adolescente. Décrit par un gardien comme un tueur de sang-froid, cet homme courtois n’a en effet accepté cette expérience de laboratoire cinématographique qu’à la condition expresse que son visage n’apparaisse pas à l’écran. Le tandem formé par le britannique Chris Wright et l’allemand Stefan Kolbe (remarqué pour Foi de pasteurs, en 2014) a donc eu l’idée de procéder pour cela à un subterfuge original qui est parfois utilisé comme outil thérapeutique. Après avoir fait mouler l’empreinte de son visage, ils ont fait fabriquer une marionnette à son effigie qui va humaniser son témoignage grâce aux manipulations de deux femmes. Au point qu’on en finit par confondre ce pantin au regard d’un bleu pénétrant avec celui qu’il représente, son crâne chauve servant même parfois à projeter des images réelles. Un dispositif sophistiqué qui contribue à humaniser son protagoniste et à rendre audible le témoignage parfois insoutenable de ses actes. Il y a dans la démarche d’Anamnesis, qui s’est prolongée sur quatre années, quelque chose de commun avec le sujet même de la série de fiction de David Fincher Mindhunter à travers ce fantasme partagé de nous introduire dans la tête d’un criminel en toute impunité. Mission accomplie pour un film de laboratoire qui constitue l’exact antithèse des émissions télévisées à sensation comme “Faites entrer l’assassin”.


© ma. ja. de. Filmproduktions GmbH



Wood And Water de Jonas Bak (Perspectives du cinéma allemand)

Documentaire. Avec Anke Bak, Ricky Yeung, Alexandra Batten, Patrick Lo, Theresa Bak, Patrick Shum, Edward Chan… 1h19

Sa retraite venue, la mère du réalisateur décide de profiter de sa liberté et de partir sur les traces de son bonheur et de sa jeunesse enfuis. Elle quitte pour cela sa solitude et sa Forêt Noire bercées par les photos jaunies d’une vie de famille révolue pour entrer dans le grand bain d’un monde qui incarne son exacte antithèse. Avec entre-temps une réunion de famille estivale au bord de la Mer Baltique à laquelle son fils Max a dû déclarer une fois de plus forfait en raison des troubles qui agitent Hong Kong où il est parti s’installer depuis des années sans jamais revenir en Allemagne. Sur place, en attendant le retour du fils prodigue parti en voyage d’affaire, cette femme de caractère va se familiariser toute seule avec ce nouveau monde qui lui est totalement étranger, au fil de ses rencontres inopinées avec un concierge, un psy ou un activiste. Au point de témoigner par sa curiosté d’une capacité inattendue à s’intégrer dans ce lieu ô combien exotique dont elle comprend peu à peu pourquoi il a littéralement absorbé son fils en l’éloignant de sa famille. Jonas Bak procède à petites touches et signe un documentaire dont certains moments semblent avoir été arrachés à une œuvre de cinéma vérité. Une sorte de confrontation improbable entre le passé et le futur cimentée par une observation minutieuse du présent. Comme si c’était demain…

Jean-Philippe Guerand


Anke Bak
© Trance Films

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