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“Le retour” de Catherine Corsini



Film français de Catherine Corsini (2023), avec Aïssatou Diallo Sagna, Esther Gohourou, Suzy Bemba, Lomane de Dietrich, Cédric Appietto, Virginie Ledoyen, Denis Podalydès, Marie-Ange Geronimi, Harold Orsini, Jean Michelangeli… 1h46. Sortie le 12 juillet 2023.



Esther Gohourou, Suzy Bemba et Aïssatou Diallo Sagna



Le Festival de Cannes peut le meilleur comme le pire. Catherine Corsini en a fait l’expérience avec le succès de La fracture auquel sa sélection en compétition a donné un retentissement favorable suivi d’un joli succès commercial, puis d’un César de la meilleure actrice décerné à Aissatou Diallo Sagna, véritable aide-soignante qu’on retrouve aujourd’hui dans l’un des rôles principaux du nouveau film de la réalisatrice : celui d’une mère méritante qui décide, à la faveur d’un été où elle a accepté de veiller sur les enfants de ses employeurs parisiens en villégiature en Corse, d’emmener ses deux filles sur les lieux où elle a vécu naguère une histoire d’amour dont elle ne s’est jamais vraiment remise. Sur place, les trois femmes vivent ce séjour chacune à sa manière, avec son lot d’étreintes et de désillusions. À son habitude, la réalisatrice excelle dans l’art délicat du tableau de mœurs en soulignant avec justesse cette promiscuité insouciante qui s’instaure parfois de façon plus ou moins éphémère à la faveur des vacances. Une arme à double tranchant dont a sans doute pâti ce film jugé trop léger pour s’aligner en compétition face aux poids lourds cannois. C’est faire bien peu de cas de sa subtilité psychologique et de cette mélancolie qui l’habite, de la mère hantée par un échec amoureux qui la renvoie à sa jeunesse à ses deux filles qui vivent ce même âge des possibles dans un paysage sentimental où les différences constituent moins des obstacles que de nouveaux signes de reconnaissance.



Suzy Bemba, Esther Gohourou et Lomane de Dietrich



À partir d’un sujet qui aurait pu lui inspirer un pur mélodrame, genre qu’elle a toujours traité avec considération, notamment dans Partir (2009) et Un amour impossible (2018), Catherine Corsini opte pour un compromis entre étude de mœurs et comédie de caractères qui fait la part belle à ses personnages et par extension gâte ses interprètes. Avec comme souvent chez elle une certaine primauté accordée aux rôles féminins, au détriment de ce père de famille tyrannique que campe Denis Podalydès, ce paumé magnifique auquel Cédric Appietto prête une poignante maladresse et ce jeune coq de village qu’incarne Harold Orsini. Le retour reste toutefois dominé par la fragile complicité qui unit Aïssatou Diallo Sagna avec Esther Gohourou et Suzy Bemba en qui elle a quelque mal à se projeter, mais aussi Lomane de Dietrich en totale rupture avec son milieu et Virginie Ledoyen en bourgeoise faussement dupe de sa situation. Le film trouve précisément son rythme de croisière dans cet équilibre délicat que la réalisatrice et sa jeune coscénariste Naïla Guiguet réussissent à trouver entre des moments d’une extrême intimité et des scènes de groupe qui confèrent son unité à cet ensemble. Quelle que puisse être la destinée commerciale de ce film, il s’inscrit profondément dans notre époque et gagnera sans doute à être réestimé dans quelques années, comme le témoignage à chaud d’une ère en proie à une confusion des sentiments d’une puissance tellurique, en passe de redéfinir ce que Pascal Bruckner et Alain Finkielkraut qualifiaient déjà de “Nouveau désordre amoureux” en 1977 dans un contexte pourtant radicalement différent.

Jean-Philippe Guerand






Aïssatou Diallo Sagna, Esther Gohourou,

Virginie Ledoyen, Denis Podalydès,

Suzy Bemba et Lomane de Dietrich

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