Film italien de Jonas Carpignano (2020), avec Swamy Rotolo, Claudio Rotolo, Rosa Caccamo, Grecia Rotolo, Carmela Fumo, Salvatore Rotolo, Vincenzo Rotolo… 2h01. Sortie le 13 avril 2022.
Swamy Rotolo
Impressionnante trajectoire que celle de Jonas Carpignano, jeune prodige du cinéma italien passé par la Ciné-Fondation et diverses sections parallèles cannoises qui boucle avec A Chiara un triptyque amorcé avec Mediterranea (2015) et A Ciambra (2017). Avec en filigrane les nouveaux brassages de populations engendrés par la mondialisation dans une bourgade de Calabre où ce réalisateur né aux États-Unis s’est installé en 2010, Giola Tauro. Après s’être concentré sur les migrants puis sur la communauté Rom, le réalisateur s’attache cette fois à la Ndrangheta, cette hydre mafieuse devenue le poumon économique de la région, en se substituant auprès de ses habitants à des pouvoirs publics dépassés, ainsi que l’explique le père à sa fille au fil d’une démonstration imparable. Carpignano trouve le parfait équilibre entre documentaire et fiction à travers le regard que porte Chiara sur sa famille unie, confrontée à un père trop émotif pour faire l’éloge de sa fille aînée en public le jour de ses 18 ans, sa mère qui veille en silence sur sa tribu et ses filles belles comme le jour que leur insouciance naturelle empêche de comprendre qu’elles doivent leur train de vie à des trafics prohibés mais lucratifs. La Mafia que décrit Carpignano est certes une famille, mais elle n’a rien à voir avec celle immortalisée par Francis Ford Coppola dans Le Parrain, sinon par la puissance de son unité et son attachement à son terroir et à ses traditions. Ici, c'est le silence qui règne en maître.
Swamy Rotolo, Grecia Rotolo et Claudio Rotolo
La singularité de Jonas Carpignano est de choisir ses interprètes parmi les gens qu’il côtoie. Le résultat est saisissant, mais relève moins du documentaire que de ce cinéma du réel où la frontière avec la fiction devient floue jusqu’à s’évanouir. Il émane ainsi d’A Chiara une vérité rare qui contribue à renforcer son propos. Le réalisateur ne cherche pas à ce que ses interprètes jouent, mais plutôt qu’ils soient les personnages qu’ils lui ont inspirés et qu’il leur a confiés sans pour autant leur donner à lire le scénario. En l’occurrence, ici, il leur demande de reconstituer sensoriellement des scènes qu’ils ont vécues, mais qu’il a cousues entre elles dans le cadre balisé d’une fiction de son invention. Un procédé d’autant plus habile qu’il accule les protagonistes dans un cadre émotionnel qui leur est familier, à commencer par les relations qu’ils entretiennent. A Chiara devient ainsi un authentique miracle cinématographique qui ne triche jamais avec les sentiments, dans la mesure où Carpignano tire de chacun ce pour quoi il l’a choisi et parvient ainsi à donner une vérité incroyable à la moindre scène de ce tableau de mœurs où la violence est omniprésente, mais reste sous-jacente, les activités mafieuses s’y déroulant dans un hors-champ qui préserve les enfants des activités illicites de leurs parents. Avec cette symétrie narquoise qui met en miroir l’anniversaire de deux sœurs et le cap symbolique de la majorité qui sépare l’innocence de ces adolescentes de leur entrée dans le monde des adultes où les sorties de route se paient cash. Voici un film lumineux d’humanité.
Jean-Philippe Guerand
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