Eagles of the Republic Film franco-suédo-dano-finlando-allemand de Tarik Saleh (2025), avec Fares Fares, Lyna Khoudri, Zineb Triki, Amr Waked, Cheren Dabis, Sherwan Haji, Suhaib Nashwan, Hassan El Sayed, Tamer Singer, Mohammed Nehmi, Donia Massoud, Ahmed Khairi, Nael Ali, Haitham Elsaadani, Pedra Hajigholi… 2h09. Sortie le 12 novembre 2025.
Lyna Khoudri et Fares Fares
Suédois d’origine égyptienne, Tarik Saleh revient régulièrement à ses origines. Après le thriller Le Caire confidentiel (2017) et l’étude de mœurs La conspiration du Caire (2022), il emprunte cette fois les voies de la comédie politique sans modération. Une star de cinéma se voit contrainte par les autorités d’incarner le président Abdel Fattah al-Sissi dans un biopic commandité par le pouvoir. Un cas de conscience qu’aggrave encore sa liaison clandestine avec l’épouse du général chargé de surveiller le tournage. Adepte du poil à gratter, le réalisateur en confie le rôle principal à son interprète de prédilection, Fares Fares, dans un contre-emploi qui l’entraîne sur le registre de la satire dans une atmosphère de film noir. Malgré son sujet, ô combien polémique, le film désigne nommément ses cibles et adopte une facture délibérément ludique. L’ambiance est celle d’un tournage classique, glamour et magie du cinéma inclus. La mise en scène joue sans cesse sur la confrontation de l’usine à rêves qui a longtemps atteint à la mythologie au pays des pharaons et les conventions du cinéma d’espionnage, avec son centre une question universelle : l’engagement des artistes et des intellectuels tiraillés entre la nécessité d’assumer leurs responsabilités en tant que stars populaires et un devoir moral qui leur enjoint d’user de leur influence pour s’opposer aux abus de pouvoir. Situation cornélienne qui nourrit cette comédie de mœurs sans jamais se soustraire à ses responsabilités et pousse d’ailleurs à dessein le curseur de l’humour avec une jubilation communicative.
Derrière son titre ronflant qui évoque la flamboyance d’un roman-feuilleton du temps jadis, Les aigles de la République choisit le registre de la comédie d’espionnage pour asséner quelques vérités bien senties sur la notion même de dictature et ses dérives les plus sournoises. Des films comme celui dont Tarik Saleh prend pour cadre le tournage, la Chine de Mao, l’URSS de Staline, l’Italie de Mussolini ou l’Allemagne d’Hitler en ont produit de nombreux dans le but d’édifier les foules en statufiant des dictateurs en quête de cette éternité qu’assure parfois le septième art. Au-delà du cas de conscience de son personnage principal, le film démonte habilement la mécanique de la propagande et use pour cela de l’arme la plus efficace qui soit : l’humour. Fares Fares s’avère irrésistible sur ce registre en clown triste qui s’appuie sur les moindres ressources de son art de comédien pour exprimer la duplicité de son personnage, par ailleurs incorrigible séducteur que son charme entraîne dans une situation à haut risque. Saluons ici l’interprétation de sa partenaire, Lyna Khoudri, qui mène décidément une carrière internationale dépourvue de fautes de goût depuis son rôle dans The French Dispatch (2021) de Wes Anderson. Orfèvre sur le registre de l’ironie mordante, Tarik Saleh réussit en outre la prouesse de signer un film politique puissant en assumant son amour immodéré pour le cinéma spectacle oriental à travers son emphase et un certain lyrisme. Non seulement il prend pour cadre un tournage qui lui permet de démultiplier les niveaux de lecture, mais il remet au goût du jour des conventions qui ont déjà fait leurs preuves chez Ernst Lubitsch ou Billy Wilder en usant du rire comme d’une arme de destruction massive qui accule les personnages à assumer leurs responsabilités, y compris malgré eux. Et tous les régimes autoritaires en prennent ainsi pour leur grade.
Jean-Philippe Guerand




Commentaires
Enregistrer un commentaire