Film taïwano-franco-américano-britannique de Shih-Ching Tsou (2025), avec Janet Tsai, Nina Ye, Shi-Yuan Ma, Brando Huang, Akio Chen, Xin-Yan Chao… 1h48. Sortie le 17 septembre 2025.
Le cinéma asiatique témoigne ces temps-ci d’une inventivité réjouissante. En voici un nouvel exemple sous bannière taïwanaise dont la réalisatrice s’est fait connaître en signant un documentaire intitulé Take Out (2004) -dont le sujet annonçait celui d’Histoire de Souleymane de Boris Lojkine - avec Sean Baker dont Shih-Ching Tsou a par ailleurs produit quatre longs métrages. À partir d’un scénario ébauché il y a une quinzaine d’années avec son mentor, elle se lance aujourd’hui en solo en abordant sous forme de fiction les relations d’une restauratrice avec les deux filles dont elle a assuré seule l’éducation : une adulte et une gamine affectée d’une caractéristique qui suscite le mauvais esprit des esprits chagrins : elle est gauchère, ce qui équivaut selon une ancienne superstition à disposer de “la main du diable”. Le film emploie le ton de la chronique pour décrire ce microcosme féminin sur une tonalité impressionniste et avec une grande liberté de mouvement. L’épicentre du film est la cantine familiale nichée au beau milieu d’un marché nocturne de Taipei sur laquelle règne cette mère célibataire effacée, tandis que son aînée et sa cadette, si complices malgré les nombreuses années qui les séparent, découvrent la ville à leur façon, à bord d’un scooter. Une monture de conquérantes synonyme de liberté qui souligne la parenté de cet environnement urbain avec celui de bien des films italiens des années 60, mais aussi avec certaines œuvres de jeunesse de Wong Kar-wai ou d’Edward Yang. Il y souffle cette même ivresse de liberté qui s’apparente à la fureur de vivre.
Shi-Yuan Ma, Nina Ye et Janet Tsai
Prix de la Fondation Gan à la diffusion lors de la Semaine de la critique, Left-Handed Girl tire une bonne partie de son charme de sa fraîcheur et de la liberté qui guide les pas de ses protagonistes. Hasard de la programmation, le film de Shih-Ching Tsou résonne en écho à Gangs of Taïwan de Keff sorti récemment qui se déroulait dans un cadre topographique assez voisin (là aussi un restaurant), mais sur une tonalité plus noire et dans un contexte politique plus prégnant. Taipei apparaît comme un décor de cinéma propice aux fantasmes dont la jeunesse constitue le plus sûr potentiel pour affronter l’avenir, à commencer par les velléités de reconquête du grand voisin chinois et le casus belli qu’il représente aux yeux des États-Unis. Il est d’autant plus passionnant d’observer sa vie quotidienne à travers les yeux de ce trio féminin qu’il n’est pas exactement celui qu’on croit et porte en lui une blessure profonde. À travers cette histoire de sororité, la réalisatrice aborde une problématique qui n’aurait sans doute pas pu être évoquée dans la Chine traditionnelle, mais qui revêt ici une dimension humaine bouleversante en soulignant à quel point la mainmise de l’État peut parfois provoquer des conséquences incalculables au cœur même des familles en régentant leur mode de fonctionnement et leurs relations. Cette étude de caractère bénéficie ici de la justesse de ses figures féminines merveilleusement interprétées. Avec une mention spéciale pour la petite Nina Ye, étonnante de justesse et de spontanéité sur une partition pourtant solidement vissée. Il y a chez cette gamine insouciante et observatrice un air de famille avec le petit garçon de Yi Yi d’Edward Yang, récemment réédité, un autre portrait de famille situé à Taipei.
Jean-Philippe Guerand
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