Chong / Locust Film franco-taïwano-américain de Keff (2024), avec Liu Wei Chen, Rimong Ihwar, Devin Pan, Yu An-shun, Jung Wu-yi, Ma Nien-hsien, Chen Tai-ho, Virginia Chien, Fan Ruei-siou, Chen Yu-yan… 2h15. Sortie le 30 juillet 2025.
Liu Wei Chen
En 2019, au moment où les autorités chinoises matent dans la violence les velléités démocratiques de la jeunesse de Hong Kong, la population de Taipei assiste avec stupeur au raidissement de son grand voisin et manifeste sa solidarité avec la péninsule jusqu’alors préservée. Serveur dans une échoppe familiale, un jeune muet sans attaches participe clandestinement et à l’insu de ses patrons à des actions violentes de racket et d’intimidation pour le compte d’un gang commandité par des spéculateurs mafieux. Jusqu’au jour où il se retrouve au cœur d’un épineux conflit d’intérêts qui va le forcer à choisir quelle vie il veut vraiment mener. Avec ce premier film révélé par la Semaine de la critique en 2024 dont le réalisateur déjà distingué par la Cinéfondation a été sélectionné un an plus tard au festival Reims Polar, émerge un réalisateur talentueux en la personne de Keff, lui-même originaire de Singapour mais qui a grandi à Hong Kong. Il exploite habilement le contexte géopolitique abrasif d’un été de tous les dangers pour pointer la gangrène de la corruption qui menace Taïwan, au moment même où la Chine populaire déploie son arsenal répressif dont la cible suivante est précisément son voisin nationaliste devenu depuis un abcès de fixation stratégique sinon un casus belli potentiel avec les États-Unis.
Liu Wei Chen et Rimong Ihwar
Gangs of Taïwan rend un hommage respectueux à l’âge d’or du cinéma hongkongais qu’il célèbre comme un talisman disparu. Il tire un véritable atout de son personnage principal qui fait passer par ses expressions et ses regards ce que sa voix ne peut pas exprimer. Ce personnage plus complexe qu’il ne pourrait y paraître de prime abord apparaît constamment tiraillé entre sa tendresse sincère à l’égard de ses patrons qui le considèrent comme le fils qu’ils n’ont pas eu et une mystérieuse dette qu’il doit acquitter pour devenir libre et pouvoir s’accomplir. Avec comme repère dans cette tempête affective une vendeuse d’épicerie qui le rassure par sa normalité et une audace dont il se montre incapable malgré ses activités illicites d’homme de main. Gangs of Taïwan est un film qui tire un trait sur la puissance des sentiments que son anti-héros ne peut exprimer par la parole, laissant aux autres le soin de décrypter ses réactions. L’exécution grégaire de ses basses œuvres d’intimidation associée au protocole sanitaire dû à la pandémie de Covid-19 le conduit en outre à porter un masque qui ne laisse apparaître que ses yeux. Au point de donner à ce groupe de nervis l’allure d’une horde sauvage qui exécute les basses œuvres de la pègre. Il convient ici de saluer la performance de l’acteur Liu Wei Chen, connu jusqu’alors pour quelques web-séries, dans un numéro de haute voltige impressionnant où son rôle le contraint à renouer avec l’essence même du métier d’acteur, la gestuelle, sans jamais forcer la note. Sous l’apparence trompeuse d’un film de gangsters traditionnel, affleure un propos plus intimiste qui passe par une solide caractérisation des protagonistes pour la plupart comme dépossédés de leur destin par une société gangrénée par les intérêts supérieurs, souvent communs, de la spéculation immobilière et de la politique. Comme si faire table rase du passé était l’assurance d’un avenir radieux…
Jean-Philippe Guerand
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