Film indo-britannique de Karan Kandhari (2023), avec Radhika Apte, Ashok Pathak, Chhaya Kadam, Smita Tambe, Subhash Chandra, Navya Sawant, Dev Raaz, Chaitanya Solankar… 1h48. Sortie le 11 juin 2025.
Radhika Apte et Ashok Pathak
Le cinéma indien s’est longtemps résumé à nos yeux d’Occidentaux aux productions chantantes et spectaculaires de Bollywood et à des films d’auteur plutôt austères à l’usage des festivals internationaux. Ces repères ont toutefois beaucoup changé en engendrant une production alternative qui aborde des thèmes universels tout en donnant assez juste de cette société en mutation qui a compris que le cinéma pouvait aussi être une arme. Dans la tradition de la pionnière Mira Nair révélée par Salaam Bombay ! (1988), on a assisté récemment à l’éclosion d’une nouvelle génération à travers des films comme All We Imagine as Light de Payal Kapadia, Santosh de Sandhya Suri ou Monsieur de Rohena Gera qui abordent des sujets de société jusqu’alors considérés comme tabous, privilégient les personnages féminins et accordent une importance particulière aux dialogues. Comme pour combler un déficit de parole qui n’a fait que se perpétuer depuis les origines du cinéma indien au profit d’une starification assez artificielle qui n’a pas vraiment contribué à faire circuler la parole des femmes, mais plutôt à ériger les plus grandes stars féminines au rang de divinités intouchables. C’est aussi le cas du cinéaste britannique né au Koweit Karan Kandhari qui est retourné à ses origines à l’occasion de son premier long métrage en mettant en scène un personnage féminin particulièrement subversif. Sister Midnight revendique son identité de film de genre et la met au service d’un discours subversif parfaitement assumé. Son héroïne malgré elle est une femme soumise à un mariage arrangé avec un homme qui se révèle en-dessous de tout. Alors elle se transforme nuitamment en une sorte de justicière impitoyable pour porter assistance à ses semblables, victimes en proie à des situations inappropriées et à un système archaïque. Entre Mister Hyde et la créature de Frankenstein, ironie et humour en plus.
Radhika Apte
Cette marginale transformée en hors-la-loi un peu malgré elle revêt une portée hautement symbolique dans l’Inde des castes où les femmes n’ont que le droit de se taire. Comme Superman et tant de super-héros avant elle, sa banalité est d’autant plus appuyée que ses pouvoirs apparaissent démesurés. Il lui arrive toutefois aussi d’afficher des signes de vulnérabilité et d’en conserver des stigmates qui apparaissent comme autant de blessures de guerre. À l’instar de ce pansement sur le nez qui évoque irrésistiblement celui arboré par le privé que campe Jack Nicholson dans Chinatown (1974) de Roman Polanski. Sister Midnight emprunte toutefois davantage le ton de la comédie dans un cadre, la mégalopole de Mumbai, que le réalisateur observe avec un regard extérieur assez réjouissant en recourant par ailleurs au 35mm qui confère à cette immersion un look très particulier qu’accentuent certains effets de style. C’est précisément parce qu’il joue constamment des codes du cinéma que le film s’avère aussi déroutant et jubilatoire. Tel est aussi le cas de son interprète principale, Radhika Apte, dont les mimiques et la gestuelle traduisent l’étonnement permanent de son double personnage face à des situations souvent saugrenues. S’il est tentant de conférer au film une forte portée féministe, le réalisateur se positionne davantage sur une position punk-rock qui consiste à montrer une femme ordinaire à qui le mariage va conférer des pouvoirs extraordinaires de rebelle avec cause qu’elle va mettre au service d’une justice sommaire conditionnée par un système caduc. On peut dès lors en tirer d’innombrables interprétations qui contribuent à la richesse de cette Sister Midnight surgie de nulle part en révélant un cinéaste pour le moins atypique.
Jean-Philippe Guerand
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