Film indien de Sandhya Suri (2024), avec Shahana Goswami, Sunita Rajwar, Nawal Shukla, Sanjay Bishnoi, Shashi Beniwal, Arbaz Khan… 2h08. Sortie le 17 juillet 2024.
Sunita Rajwar et Shahana Goswami
En Inde, les conjoints des fonctionnaires morts sont habilités légalement à hériter de leur emploi. C’est le cas de Santosh, une jeune femme qui décide de reprendre la charge de son défunt mari et se trouve immergée ainsi dans le monde la police donc propulsée parmi les turpitudes les moins glorieuses de l’humanité où crimes et délits reflètent la misère parfois vertigineuse de la condition humaine. Chargée d’enquêter sur le meurtre d’une jeune fille issue d’une caste inférieure, elle découvre un aspect inconnu de la société sous les ordres et la protection de sa supérieure hiérarchique, aussi expérimentée que désabusée. Venue du documentaire, Sandhya Suri s’inscrit délibérément dans une nouvelle tendance du cinéma indien qui se démarque de la tradition de Bollywood au profit d’un réalisme accru et d’un sens de l’observation plus prononcé qui s’exerce ici sur un double registre : le polar et l’étude de caractères. Autre spécificité de ce film présenté cette année à Cannes dans le cadre de la section Un certain regard, il est l’œuvre d’une réalisatrice qui plaide la cause des femmes à travers deux personnages en butte au machisme ambiant dans un univers traditionnellement en proie à la domination masculine. Un discours universel situé dans une province rurale du Nord-Est de l’Inde où les traditions continuent à résister à la marche inéluctable du progrès, notamment à travers des préjugés sexistes d’un autre âge.
Shahana Goswami
Santosh est indissociable de son rôle-titre, celui d’une veuve que la vie contraint à assumer ses responsabilités en la projetant dans un univers où la vue est imprenable sur toute la misère morale du monde ou presque. Avec cette difficulté supplémentaire qui consiste à s’imposer en tant que femme et ce modèle que constitue une inspectrice dont on comprend qu’elle s’est endurcie elle-même au fil des épreuves et des brimades. Comme souvent, par les chocs sociétaux qu’il favorise, le cinéma policier permet une immersion radicale du côté obscur d’un monde en proie à une misère morale endémique et à des pratiques qui relèvent parfois de la barbarie la plus primaire. Santosh n’est en cela ni plus ni moins que la déclinaison indienne de ces descentes aux enfers pavées de mauvaises intentions qui fleurissent régulièrement dans les contrées les plus éloignées, de Memories of Murder (2004) en Corée du Sud à Limbo (2021) en Chine, en passant par Seven (1995) aux États-Unis, Le Caire confidentiel (2017) en Égypte ou Ashkal (2023) en Tunisie. Avec en commun cette spécificité du film noir qui consiste à rendre compte de l’état d’une société en l’observant depuis ses bas-fonds et ses marges, mais sans la moindre complaisance. L’intrigue policière proprement dite fonctionne comme un révélateur et sert surtout à mettre en évidence des personnages qui échappent aux stéréotypes, tout en reflétant l’évolution salutaire de la société indienne et de son système de castes archaïque, à travers une prise de conscience assumée de la condition féminine. Santosh témoigne en cela d’un rayonnement universel foudroyant.
Jean-Philippe Guerand
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