Film franco-indo-luxembourgo-néerlandais de Payal Kapadia (2024), avec Kani Kusruti, Divya Prabha, Chhaya Kadam, Hridhu Haroon, Azees Nedumangad… 1h58. Sortie le 2 octobre 2024.
Divya Prabha
Derrière le Grand prix qui lui a été décerné au dernier Festival de Cannes, le premier long métrage de fiction de Payal Kapadia ressemble sous bien des aspects à l’hirondelle qui annoncerait le printemps du cinéma indien longtemps réduit aux fresques musicales de Bollywood, d’un côté, et à des films d’auteur austère, de l’autre. Comme Girls Will Be Girls de Shuchi Talati et Santosh de Sandhya Suri sortis cet été, All We Imagine as Light s’attache à la condition féminine à travers le regard d’une réalisatrice en prise avec son époque qui choisit pour porte-parole une infirmière de Mumbai condamnée à l’abstinence sentimentale et sexuelle par l’absence prolongée de son époux, tandis que sa jeune colocataire entretient quant à elle une liaison sentimentale clandestine avec un Musulman. Deux destins distincts qui en disent long sur le poids de la tradition au sein du pays le plus peuplé de la planète, encore régi par des traditions rétrogrades à l’heure du mouvement #MeToo. Si le cinéma possède la capacité de changer le monde, ce film généreux devrait contribuer dans une large mesure à faire évoluer les mentalités d’une société régie par des coutumes ancestrales, des antagonismes religieux et un système de castes devenus autant de remparts à une évolution des mœurs pourtant irrésistible.
Kani Kusruti
All We Imagine as Light entrouvre une brèche prometteuse en la personne de deux générations de femmes en porte-à-faux avec leur époque qu’une sorte de voyage initiatique sensibilise à la liberté. Un film porté par ses deux interprètes principales : Kani Kusruti, déjà remarquée dans le rôle ingrat de la mère frustrée de Girls Will Be Girls, et Divya Prabha, une véritable révélation originaire de l’état du Kerala. Au-delà de son propos politique et féministe audacieux, ce film délicat utilise les mots pour dénoncer les maux d’une société fissurée par son archaïsme que dénonce la jeune génération en essayant d’entraîner ses aînés à sa suite. La réalisatrice y prolonge le propos de son documentaire Toute une nuit sans savoir, couronné de l’Œil d’or 2021 à Cannes. Le cinéma y accède à une universalité de nature à faire bouger les lignes d’une société repliée sur elle-même qui tient les femmes en soumission, mais manifeste des velléités de surfer à son tour sur une lame de fond en passe de tout emporter sur son passage. Comme le souligne justement son titre, le film de Payal Kapadia fait briller une maigre lueur qui ne demande qu’à embraser et à éblouir la société indienne toute entière. La réalisatrice y associe en outre le fond à la forme, en entretenant une confusion délibérée entre fiction et non-fiction qui aboutit à un spécimen percutant de cinéma du réel où tout sonne juste.
Jean-Philippe Guerand
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