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“Tu ne mentiras point” de Tim Mielants



Small Things Like These Film irlando-belgo-américain de Tim Mielants (2024), avec Cillian Murphy, Clare Dunne, Emily Watson, Michelle Fairley, Joanne Crawford, Amy de Bhrún, Abby Fitz, Eileen Walsh, Ian O’Reilly, Liadan Dunlea, Cillian O’Gairbhi, Ella Cannon, Sarah Ann Morris… 1h38. Sortie le 30 avril 2025.



Cillian Murphy



The Magdalene Sisters (2002) de Peter Mullan et Philomena (2013) de Stephen Frears ont évoqué l’influence perverse et les profonds traumatismes exercés par le clergé irlandais sur des générations de filles considérées comme “perdues”. Le cinéma s’est beaucoup moins rarement intéressé au sort réservé aux garçons et plus généralement aux sévices exercés dans les établissements religieux à l’encontre des enfants et des adolescents. Un sujet qui s’étend désormais à tous les pays catholiques, y compris à la France où le cinéma ne s’est encore que peu intéressé à ce sujet de société brûlant, sinon dans le film de François Ozon Grâce à Dieu (2018) et quelques chroniques adolescentes dont le trop méconnu Anthracite (1980) d’Édouard Niermans à une époque où ce sujet apparaissait tabou et relevait encore pour l’opinion publique d’une atteinte partisane à la réputation de l’Église fomentée par des laïcs irresponsables et mal intentionnés. Ce n’est désormais plus le cas et la réalité se charge de dépasser la fiction quand les langues se délient, du cas individuel de l’Abbé Pierre en tant qu’agresseur sexuel aux pensionnaires du l’établissement catholique de Bétharram victimes d’agressions sexuelles et d’actes pédophiles en passe de devenir d’authentiques affaires d’État et de contraindre le Vatican à prendre ses responsabilités trop longtemps différées. Tu ne mentiras point est en cela un film courageux par le système oppressant qu’il dénonce à travers son emprise sournoise sur les esprits et un certain dévoiement de la foi.



Emily Watson



Cette histoire irlandaise trouve son origine dans un bref roman de Claire Keegan intitulé “Ce genre de petites choses” adapté par le dramaturge Enda Walsh qui a déjà collaboré avec des cinéastes aussi différents que Steve McQueen et Hideo Nakata. Un sujet mis en scène avec une infinie retenue par le réalisateur belge Tim Mielants qui avait signé avec Bouli Lanners son premier film en langue anglaise, L’ombre d’un mensonge (2021), et a signé en solo Wil (2023). Le film évoque l’affaire dite des couvents de la Madeleine à travers la personnalité d’un marchand de charbon introverti qui découvre ce qui se passe dans l’un de ces établissements en 1985, soit huit ans avant la fermeture définitive de ces “blanchisseries” dans lesquelles ont été enfermées plus de dix mille femmes entre 1922 et 1996. L’enjeu de ce drame psychologique repose sur la loi du silence qui tient cet homme sous son emprise et l’empêche depuis toujours de verbaliser ces châtiments dont il a eu connaissance sans oser les dénoncer. Avec un atout maître : le héros charismatique de la série “Peaky Blinders” et d’Oppenheimer, Cillian Murphy, dans le contre-emploi cadenassé d’un personnage qui n’a pas toujours les mots pour exprimer la douleur qui le ronge. C’est toute la force de ce film que d’adopter le point de vue d’un témoin silencieux confronté à une institution qui tire sa toute-puissance de son pouvoir de nuisance couvert par les autorités en imposant un dogme moral inhumain qui s’appuie sur des préceptes dévoyés de la religion catholique. Cette histoire constitue une dénonciation en règle de l’hégémonie exercée par l’Église sur une population que sa croyance fragilise et contraint à subir l’inacceptable sans chercher à résister. Tim Mielants choisit d’ailleurs de filmer les femmes qui exercent ce potentat comme des créatures intemporelles. À l’instar de la mère supérieure campée par la toujours inquiétante Emily Watson en écho lointain à son rôle inoubliable dans Breaking the Waves (1996) de Lars von Trier.

Jean-Philippe Guerand






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