Nobody Has To Know Film belgo-français de Bouli Lanners (2019), avec Michelle Fairley, Bouli Lanners, Andrew Still, Julian Glover, Cal MacAninch, Clovis Cornillac… 1h39. Sortie le 23 mars 2022.
Michelle Fairley et Bouli Lanners
Cinéaste belge inclassable, Bouli Lanners signe aujourd’hui son premier film en langue anglaise dont l’acteur s’est réservé le rôle principal, celui d’un homme réfugié sur une île écossaise qui travaille pour un riche propriétaire local. Jusqu’au jour où il est victime d’un AVC qui le laisse amnésique et où la fille de son patron entreprend de lui venir en aide avec une étrange sollicitude… Le thème de la perte de mémoire a donné au cinéma à bien des exploitations, notamment sur le registre du polar, de La maison du docteur Edwardes (1945) d’Alfred Hitchcock à Memento (2000) de Christopher Nolan. Le parti qu’en tire Bouli Lanners relève plutôt du drame romantique et repose pour une bonne part sur le jeu tout en retenue de ses deux interprètes principaux, sa partenaire n’étant autre que Michelle Fairley, rendue mondialement célèbre par les trois premières saisons de la série “Game of Thrones”. Le film joue habilement des silences et des non-dits qui enferment ses protagonistes dans une bulle d’incompréhension façonnée de malentendus accumulés. Et toujours cette délicatesse dans l’expression des sentiments qui est devenue la marque de fabrique de Bouli Lanners, pince-sans-rire aux allures de nounours qui joue ici sur le registre de la retenue en entretenant son propre mystère, sans user pour autant du moindre artifice inutile.
Michelle Fairley et Bouli Lanners
Avec ce cinquième long métrage, qu’il a réalisé avec le concours du réalisateur de séries Tim Mielants sur le plateau, Bouli Lanners fend l’armure et accorde la primauté aux sentiments, comme il ne s’y était jamais risqué jusqu’alors. L’île de Lewis qu’il a choisie pour cadre n’est pas non plus une simple caution photogénique rendue au pittoresque, mais répond à un désir personnel de filmer ce cadre qui lui est devenu familier au fil des séjours qu’il y a effectués. Ce paysage tourmenté et désolé est de ceux qui sont favorables à l’expression des grands sentiments, dans la grande tradition des œuvres gothiques dont “Les hauts de Hurlevent” demeure un sommet. L’ombre d’un mensonge repose sur l’un de ces malentendus qui sous-tendent tant de mélodrames. C’est la chronique d’une passion condamnée par le destin qui confronte les points de vue de deux amoureux retenus par leur pudeur, mais auxquels leur âge a enseigné l’expérience de la douleur. Un film jamais amer, mais souvent poignant qui repose davantage sur ses silences éloquents que sur la moindre envolée lyrique. Avec une menace qui plane en permanence sur ces tourtereaux écorchés par la vie et, en filigrane, le combat éternel d’Eros et Thanatos.
Jean-Philippe Guerand
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