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“Ce n’est qu’un au revoir” et “Un pincement au cœur” de Guillaume Brac




Ce n’est qu’un au revoir Documentaire français de Guillaume Brac (2024) 1h03. Sortie le 2 avril 2025.

et

Un pincement au cœur Documentaire français de Guillaume Brac (2023) 38 mn. Sortie le 2 avril 2025.





Belle idée que de distribuer ensemble deux opus dans lesquels Guillaume Brac se livre à un même exercice aux deux extrémités de la France. Ce n’est qu’un au revoir se déroule dans la Drôme, Un pincement au cœur à Hénin-Beaumont. Dans un cas comme dans l’autre, le cinéaste s’attache à des lycéens que la vie a rapprochés et qu’elle s’apprête à séparer. Il filme à merveille cette complicité de potaches qui traverse le cinéma depuis des lustres, de la bataille de polochons du dortoir de Zéro de conduite (1933) de Jean Vigo aux classes tous risques de Diabolo menthe (1977) de Diane Kurys ou Passe ton bac d’abord (1978) de Maurice Pialat. Ce dernier constitue d’ailleurs une référence majeure pour le réalisateur qui filme sur ses terres une jeunesse à l’âge des possibles, avec ses espoirs, son enthousiasme et ce fameux pincement au cœur auquel se réfère le titre. Il s’agit là du seul engagement politique de l’auteur d’À l’abordage (2020), toujours sur le fil d’un réel dont il aime brouiller les codes et qui fait abstraction ici de ce qui se joue dans cette circonscription du Nord où s’affrontent deux Marine : la cheffe de file du Rassemblement National et celle des Écologistes. C’est pourtant pour une autre cause que bat le cœur de cette jeunesse encore peu politisée : cette amitié adolescente qui ressemble parfois à l’amour et s’exprime par un enthousiasme parfois démonstratif où les excès font partie du jeu. Tout est parti d’une commande passée au réalisateur au cours du second confinement dû à la pandémie de Covid-19. Sous couvert d’animer un atelier avec une douzaine d’élèves dont certains s’imposent par les histoires et la vérité qu’ils portent en eux comme les héros malgré eux de ce moyen métrage choral. Avec en son cœur ce moment où deux copines d’une quinzaine d’années voient arriver avec une certaine appréhension le déménagement de l’une d’entre elles. Guillaume Brac partage avec le Sébastien Lifshitz impressionniste d’Adolescentes (2019) cette qualité d’observation qui fait glisser le documentaire vers la fiction à travers d’indicibles petits riens.





À quelques centaines de kilomètres de là, dans un lycée de la Drôme, la région où vit Brac et qu’il a notamment filmée dans À l’abordage, d’autres adolescents vivent leur jeunesse dans l’insouciance et s’apprêtent eux aussi à entrer dans le grand bain de la vie adulte. Chacun affirme son identité à sa façon, mais tous s’épanouissent dans ce collectif ponctué de jeux et de plaisirs partagés dont une cohorte de matelas façon dominos géants. À son habitude, le réalisateur les regarde vivre pour mieux les apprivoiser et leur faire oublier la présence de la caméra. Certains s’effacent discrètement, d’autres s’imposent par leur personnalité autant que par leur appartenance collective à un groupe autonome qui existe par lui-même et va bientôt former une bande. Le film réussit ce miracle de trouver son équilibre autant par la hiérarchie naturelle qui s’instaure entre ses protagonistes que par le montage. Au point de partir du documentaire, de transiter par le réel et d’aboutir à une sorte de fiction à travers le regard du cinéaste sur ces lycéens qui se laissent aller jusqu’à confier leurs états d’âme à leurs camarades, comme saisis par une urgence lorsque la fin de l’année approche et qu’ils réalisent que cette parenthèse enchantée sonne le glas d’une certaine insouciance et va les contraindre à choisir. À l’instar de cette scène magnifique où Louison, un garçon reconnaissable à son look de rebelle, décide d’en finir avec ses dreadlocks pour adopter une apparence beaucoup plus sérieuse avec la complicité de tous ses proches. Une sorte de rituel initiatique solennel et festif qui résume l’esprit de Ce n’est qu’un au revoir et nous laisse une furieuse envie de suivre cette classe pour voir ce qu’ils vont devenir. Il émane de ces deux films presque jumeaux une fureur de vivre qui fait du bien. Avec en filigrane tous les espoirs dont cet âge est porteur.

Jean-Philippe Guerand






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