Film franco-marocain de Nabil Ayouch (2024), avec Nisrin Erradi, Joud Chamihy, Jalila Tlemsi, El Moustafa Boutankite, Lahcen Razzougui, Abdellatif Chaouki, Mouad Lasmak, Khalil Oubaaqa… 1h42. Sortie le 18 décembre 2024.
Nabil Ayouch incarne depuis ses débuts le renouveau d’un cinéma marocain ambitieux qui traite de l’intolérance et de l’évolution des mœurs, sans jamais perdre de vue son sens du spectacle. Une audace qui a présidé à des succès comme Ali Zaoua, prince de la rue (2000), Les chevaux de Dieu (2012) ou Razzia (2017), avec une prédilection pour les portraits de femmes d’aujourd’hui qui passe par des œuvres aussi engagées que Mektoub (1997), Much Loved (2015) et aujourd’hui Everybody Loves Touda. Pour la troisième fois de sa carrière, il aborde en outre un domaine qui ne cesse de le fasciner, la libération de la femme à travers une émancipation artistique qui vient du corps. Après la danse dans Whatever Lola Wants (2007) et le hip-hop dans Haut et fort (2021), ce réalisateur à l’écoute de son temps, souvent inquiété voire menacé pour son progressisme, s’attache aujourd’hui à une coutume ancestrale que perpétue une jeune mère célibataire partie de sa province avec son petit garçon sourd-muet pour tenter sa chance à Casablanca et devenir une Cheikhate, c’est-à-dire une artiste traditionnelle marocaine qui perpétue l’Aïta, un cri devenu chant. Une arme à double tranchant, puisqu’elle passe par la reconnaissance d’un auditoire masculin pas toujours à même de faire la part des choses entre l’artiste qui le charme par sa voix et la femme qui éveille en lui des désirs concupiscents. Touda apparaît en cela comme une égérie authentique autant qu'une combattante déterminée.
Comme souvent dans le cinéma de Nabil Ayouch, le véritable pouvoir appartient à ces dames qui ont fort à faire pour se défendre de l’emprise des mâles conditionnés par leurs pulsions naturelles et un ordre hiérarchique qui paraît aujourd’hui d’un autre âge, mais résiste encore dans certaines sociétés méditerranéennes dont le patriarcat apparaît plutôt rétrograde à l’ère de #MeToo. Everybody Loves Touda est en ce sens indissociable de son interprète principale, Nisrin Erradi, dirigée par Yasmine Benkiran il y a quelques mois en prisonnière en cavale dans le Road Movie Reines. Une actrice prédisposée aux emplois d’écorchées vives déterminées à s’en sortir par tous les moyens qu’a contribué à faire connaître l’épouse et coscénariste de Nabil Ayouch, Maryam Touzani, dans son premier long métrage, Adam (2019) qui lui a d’ailleurs valu une nomination au César du meilleur espoir féminin. La morale du film apparaît toutefois plutôt désenchantée et interpelle directement la société marocaine figée dans un ordre social de plus en plus déconnecté des réalités du monde qui l’entoure. Jusqu’à ce plan-séquence final cathartique de huit minutes situé dans la tour la plus haute de Casablanca dont les trente-sept étages symbolisent l’ascension jusqu’au renoncement de la chanteuse et renvoient en lointain écho à la chute finale de Brigitte Bardot dans Vie privée de Louis Malle. Avec cette même réflexion en filigrane sur les revers cruels de la célébrité et les compromissions immorales qui les accompagnent. Le message s’avère sans ambiguïtés, mais pas sans nuances.
Jean-Philippe Guerand
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