Film franco-maroco-belgo-néerlandais de Yasmine Benkiran (2022), avec Nisrin Erradi, Jalila Talemsi, Nisrine Benchara, Rayhan Guaran, Jalila Talemsi, Hamid Nider, Younès Chara, Abderrahim Tamimi, Salima Benmoumen, Hassan Badida, Ghassan El Hakim… 1h23. Sortie le 15 mai 2024.
Nisrin Erradi et Nisrine Benchara
La maturité d’un cinéma se mesure souvent à sa propension à se hasarder sur ces registres que les pays producteurs dominants ont fini par s’accaparer. Un phénomène aujourd’hui accentué par les plateformes de streaming et leur besoin exponentiel de répondre à la demande de leurs abonnés. Reines est ainsi un film de genre marocain qui assume une ambition rassurante à partir d’un postulat au fond assez élémentaire. Une femme s’évade de prison pour sauver sa fille d’une mise en tutelle et prend en otage une camionneuse. S’engage alors une course poursuite spectaculaire à travers les confins de l’Atlas. De ce point de départ au fond assez banal, la réalisatrice Yasmine Benkiran tire un drame psychologique plutôt étonnant qui va bien au-delà de son motif d’action pour esquisser trois portraits féminins résolument universels dans leurs aspirations et leur tonalité. Une audace d’autant plus intéressante que le mouvement #MeToo se heurte dans le Maghreb au poids des coutumes patriarcales et religieuses dont les fameuses révolutions arabes ont montré le pouvoir de résistance en les faisant échouer. Car même si le Maroc est demeuré à l’écart de ces mouvements populaires, on connaît les réactions parfois violentes provoquées par les films de Nabil Ayouch et notamment leur représentation de la femme au sein de cette société arc-boutée sur des traditions archaïques devenues anachroniques. Ce n’est d’ailleurs sans doute pas un hasard si ce directeuir d’actrices réputé a confié à Nisrin Erradi, l’interprète canaille de la taularde en cavale, le rôle principal de son nouveau film présenté à Cannes, Everybody Loves Touda. Sa présence est saisissante.
Nisrine Benchara et Rayhan Guaran
Remarqué en clôture de la Semaine de la critique de la dernière Mostra de Venise, Reines a la bonne idée d’utiliser la panoplie du film de genre pour défendre un propos féministe au fond assez audacieux qui le rattache par sa structure de Road Movie à Thelma et Louise. C’est d’ailleurs ce parti pris de spectacle à vocation populaire qui constitue son meilleur argument. Les scènes d’action proprement dites sont contrebalancées par le soin accordé aux dialogues à travers les relations de ces trois personnages féminins qui se trouvent des points communs propices à faire front commun. Avec face à elles une femme policière qui exprime des aspirations au fond assez voisines. L’irrésistible syndrome de Stockholm qui lie la routière à ses ravisseuses n’est qu’un prétexte à exalter la soif de revanche de ces personnages féminins sur une société qui les a toujours traitées comme des moins que rien, même si l’otage exerce un métier d’homme dans un milieu viriliste au sein duquel on comprend qu’elle doit continuer à se battre pour s’imposer et faire ses preuves. La réalisatrice justifie d’ailleurs son film par un double désir de plaisir et de mélange des genres, en faisant de son trio de circonstance une sorte de famille recomposée où la camionneuse tiendrait le rôle du papa poule. Issue du justement renommé département scénario de la Fémis, Yasmine Benkiran signe là un premier long métrage fort prometteur.
Jean-Philippe Guerand
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