Film britanno-américain de Steve McQueen (2024), avec Saoirse Ronan, Elliott Heffernan, Harris Dickinson, Benjamin Clementine, Paul Weller, Stephen Graham, Kathy Burke, Erin Kellyman, John MacKay, Adam Somner, Liam Smith, Sue Maund, Steve Paget, Sally Messham, Tom Crowley, Hayley Squires, Joshua McGuire, Jonathon Kemp… 2h. Sortie les 9 et 10 novembre 2024.
Elliott Heffernan et Saoirse Ronan
Jamais tout à fait où on l’attend, Steve McQueen ne considère le cinéma que comme une composante de son art parmi d’autres. Et encore cet artiste polyvalent se refuse-t-il à suivre une trajectoire rectiligne malgré une virtuosité reconnue. Film après film, il semble construire, déconstruire et reconstruire la très haute idée qu’il se fait du cinéma, sans jamais se répéter, mais en brassant des thèmes obsessionnels qui constituent sa singularité. Au printemps dernier sortait Occupied City, véritable épuisement d’un lieu, en l’occurrence Amsterdam, dans lequel il évoquait la ville hollandaise pendant la Seconde Guerre mondiale à travers ses rues et ses bâtiments. Un documentaire de quatre heures et demie aussi implacable que fascinant dont la puissance de suggestion substituait aux images d’archives traditionnelles une évocation du confinement provoqué par la pandémie de Covid-19. Il revient aujourd’hui à la fiction avec un projet aussi ambitieux, mais d’une toute autre teneur. L’évocation des raids nocturnes menés par la Luftwaffe contre les grandes villes anglaises bombardées sans relâche, ce fameux Blitz qui a précipité l’évacuation préventive d’une partie de la population, femmes et enfants d’abord. Steve McQueen traite cet événement à travers la séparation forcée d’une mère célibataire (l’éblouissante Saoirse Ronan vue il y a peu dans The Outrun) avec son fils unique né de sa liaison avec un homme de couleur qui doit être mis à l’abri, mais décide de prendre la poudre d’escampette et accomplit dès lors un véritable parcours du combattant pour retrouver les siens, en traversant des dangers terrifiants.
Saoirse Ronan et Elliott Heffernan
Blitz est l’occasion pour le réalisateur virtuose de 12 Years A Slave de traiter de son thème de prédilection, le racisme endémique, à travers cette épopée à hauteur d’enfant qui renvoie naturellement à l’un des plus grands écrivains britanniques, Charles Dickens, par sa succession de rencontres. Sous la menace permanente des bombardiers, le petit George va vivre une succession d’épreuves qui vont le faire grandir à l’accéléré en le renvoyant à la difficulté que représente le fait de grandir en tant que métis dans une société occidentale pétrie de préjugés d’un autre âge. Steve McQueen enchaîne à dessein des situations extrêmes en esquissant des microcosmes pour mieux les faire éclater en morceaux aussitôt. Il entraîne ainsi son Oliver Twist parmi une véritable cour des miracles où il est prié de détrousser des cadavres, puis dans un night-club où des musiciens de jazz se produisent devant une assistance huppée et enfin dans une station de ce fameux Tube londonien transformée en abri où des rescapés tentent de se protéger des raids aériens. Les scènes intimistes contrastent avec les séquences spectaculaires, mais le film n’hésite pas à prendre parfois la tangente de l’imaginaire pour nous plonger dans la tête de ce petit garçon obsédé à l’idée de retrouver sa maman et son grand-père, convaincu qu’il a été rejeté alors que sa famille a juste voulu l’éloigner du danger comme la plupart des enfants de son âge. On mesure à la vision de ce film qui flirte volontiers avec l’onirisme, ne serait-ce que dans sa façon de montrer le ciel de Londres constellé d’éclairs et ces bombes qui tombent à l’aveugle, combien le cinéma s’est rarement attaché au Blitz, sinon par l’intermédiaire de John Boorman dans son film autobiographique Hope and Glory, la guerre à neuf ans (1987). Mais ne nous y trompons pas, le propos de Steve McQueen va bien au-delà de la simple évocation historique et atteint à la psyché universelle.
Jean-Philippe Guerand
Commentaires
Enregistrer un commentaire