Documentaire français de Nicolas Philibert (2024), avec Patrice d’Hont, Walid Benziane, Goulven Cancouët, Muriel Thouron, Jérôme Délia, Ivan Vdovine, Gad Abécassis, Frédéric Prieur, Bruno Voillot, Céline Fogler… 1h12. Sortie le 17 avril 2024.
Le dernier pan de la trilogie consacrée par Nicolas Philibert aux personnages cabossés venus chercher du réconfort Sur l’Adamant montre leur quotidien et ces minuscules déraillements qui les perturbent parfois, quand un objet du quotidien vient à faire des caprices. Tout commence avec une machine à écrire facétieuse que tentent de réparer deux trentenaires pleins de bonne volonté chez un poète graphomane dont c’est l’outil de travail d’un autre âge. Pour lui, cette panne revêt une importance déterminante. D’un coup, c’est comme si on lui avait coupé les mains pour l’empêcher de projeter sa pensée sur le papier avec ce fétichisme que supposent ces pratiques d’un autre âge. Le film enchaîne ainsi des saynètes où les pensionnaires apparaissent bien démunis face à des objets capricieux qu’ils conservent depuis des lustres, en bravant le progrès. Les bricoleurs serviables et d’une patience infinie deviennent aussi malgré eux les confidents de ces “originaux” qui ne demandent qu’à se confier et vont parfois jusqu’à interpeler directement le réalisateur caché derrière sa caméra pour lui proposer un café ou le prendre à témoin. Ce film moitié moins long qu’Averroès et Rosa Parks tire son charme du fait qu’on y retrouve des personnages déjà côtoyés dans les deux opus précédents, mais cette fois au beau milieu de leur cadre quotidien qu’ils ont aménagé avec leur personnalité propre et qui reflète leurs névroses.
Face aux caprices d’une mini-chaîne stéréo, Muriel se trouve bien démunie, faute de pouvoir écouter la musique qu’elle aime qui a évidemment le même âge, qu’il s’agisse de K7 ou de CD. Quant à cet ancien élève de l’École des arts appliqués dont les créations et les collections ont rétréci l’espace vital comme une peau de chagrin, cette promiscuité avec son œuvre a beau le rassurer, quand ses interlocuteurs lui proposent de l’aider à faire du rangement, rien ne va plus ou presque… L’enjeu consiste ici à nous montrer en quelque sorte l’envers du décor en l’évoquant à partir des situations les plus ordinaires du quotidien. Nicolas Philibert s’attarde ici sur trois personnalités aux prises avec des dérapages matériels minuscules dont les conséquences se révèlent moins anodines qu’il ne pourrait y paraître. Des quinqua et des sexagénaires qui ont laissé filer le temps et continuent à vivre comme il y a trente ans. Au point que quand ils bavardent avec les anges gardiens venus tenter de réparer les dysfonctionnements de ces machines obsolètes qui les rassurent précisément parce que leur pérennité contredit la révolution technologique permanente, on en vient à réaliser que ces jeunes gens ignorent tout de ces machines rescapées du passé. C’est toute la poésie de ce film tendre, comique et émouvant de préférer au fameux “ c’était mieux avant ” une nostalgie rassurante qui ressemble surtout à de la sagesse pour celles et ceux qui préfèrent la lenteur à la frénésie.
Jean-Philippe Guerand
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