Documentaire franco-japonais de Nicolas Philibert (2023) 1h49. Sortie le 19 avril 2023.
Cinéaste discret, Nicolas Philibert a largement contribué à populariser l’un des genres les plus ingrats qui soient : le documentaire. Il lui a même valu l’un des succès les plus mémorables de son histoire avec Être et avoir, un monument de sensibilité et d’humanité qui reflète son empathie pour ce et ceux qu’il filme. Son nouvel opus en apporte un nouveau témoignage et lui a valu l’Ours d’or à la dernière Berlinale, consécration suprême qu’il a accueillie par quelques bafouillements, en prétextant sa piètre maîtrise de la langue anglaise, là où ceux qui le connaissent savent combien les mondanités et les honneurs intimident cet homme jamais aussi à son aise que lorsqu’il est caché derrière l‘œilleton de sa caméra, seul contre tous. Une posture qui explique pour une bonne part l’intimité qu’il parvient à établir spontanément avec ses interlocuteurs. De la délicatesse, il en fallait pour apprivoiser les protagonistes de son nouvel opus. L’Adamant est une barge flottante arrimée quai de la Rapée, en bordure de Seine depuis l’été 2010, qui accueille des adultes en détresse psychique dans un lieu aux antipodes des hôpitaux et autres centres fermés. Un espace préservé qui protège plutôt qu’il aliène, en encourageant ses visiteurs à s’exprimer le plus librement possible face à des soignants à l’écoute. Un havre de paix au sein duquel Nicolas Philibert a pris le temps de se faire accepter avant d’observer de plus près ces êtres aussi singuliers que pluriels dont le dénuement matériel et la détresse mentale s’avèrent parfois poignants, mais dont le comportement se révèle souvent aussi tendre que cocasse.
La psychiatrie, Nicolas Philibert lui a naguère consacré l’un de ses plus beaux films, La moindre des choses (1995), tourné à la clinique de La Borde. Il s’attache cette fois à une sorte d’expérimentation hors les murs en s’attachant aux patients comme à des personnages pittoresques qui poursuivent leurs obsessions avec la ténacité de certains originaux, en essayant d’ouvrir les portes de leur petit monde aux autres. C’est dans ces multiples univers qui ne communiquent que rarement entre eux que le réalisateur essaie de nous faire pénétrer, sans jamais en forcer l’accès. Il n’a pas son pareil pour saisir un geste ou attraper un regard qui en disent plus que tous les mots. Le cinéma de Nicolas Philibert s’apparente à l’impressionnisme. Il ne cherche pas le sensationnalisme mais la réalité, sans pour autant la provoquer. C’est en observant ces gens en décalage plus ou moins grand avec la réalité qu’il parvient à saisir leur humanité. Et le bien que leur prodigue l’Adamant s’exprime à travers leur spontanéité, comme l’exact opposé de l’enfermement. Fidèle à une méthode qui a fait ses preuves par le passé, le réalisateur comme son illustre aîné Frederick Wiseman s’interdit le moindre commentaire. C’est aux spectateurs de combler les silences et de répondre aux questions que posent certains comportements et attitudes. Le contraire du cinéma prémâché ambiant, en somme. Mais c’est aussi ce qui contribue à son charme incomparable. Pas question de juger, mais bien de montrer la réalité telle qu’elle est, quelles que puissent être ses contradictions et ses paradoxes. Alors, embarquons sur l’Adamant avec ses passagers doués de déraison et souvent aussi d’un bon sens déconcertant…
Jean-Philippe Guerand
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