Film français de Teddy Lussi-Modeste (2023), avec François Civil, Shaïn Boumedine, Bakary Kebe, Toscane Duquesne, Luna Ho Poumey, Marianna Ehouman, Mallory Wanecque, Emma Boumali, Mohamed Fadiga, Jawed Atik, Estevan Marchenoir, Agnès Hurstel, Myriam Djeljeli, Emilie Incerti Formentini… 1h32. Sortie le 27 mars 2024.
Les risques du métier
Voici un film qui catalyse dans un même scénario au moins deux problématiques récurrentes de notre époque : la crise de l’école et le harcèlement, à travers un personnage de prof idéaliste dont la bienveillance particulière accordée à certains élèves est mal interprétée par les autres. Un malentendu qui s’envenime et entraîne une réaction en chaîne aux conséquences incalculables parmi la communauté scolaire. Avec ce mot d’ordre de la hiérarchie : Pas de vagues ! Une doctrine pour le moins controversée à la lumière de certains faits divers récents. Le troisième long métrage de Teddy Lussi-Modeste (Jimmy Rivière) coécrit avec Audrey Diwan a le bon goût d’éviter la tentation du manichéisme pour se concentrer sur ce fameux grain de sable qui fait dérailler la machine. Pour avoir lui-même enseigné comme professeur de français en banlieue parisienne, le réalisateur connaît intimement le milieu qu’il dépeint et montre les dysfonctionnements d’un microcosme éruptif à haut risque où le moindre malentendu est de nature à faire imploser le système tout entier, qui plus est dans un contexte social perturbé et en pleine révolution des mœurs. En adoptant le point de vue d’un personnage jeune et encore plein d’illusions sinon idéaliste, dont François Civil est l’interprète idéal, le film interroge sur la capacité des enseignants à faire face à la garde montante d’une société civile en plein bouillonnement.
L’école en danger
Pas de vagues s’inscrit dans une lignée de films récents qui interrogent un système éducatif menacé de toutes arts et dont le moindre dysfonctionnement menace de provoquer une catastrophe, qu’il s’agisse du brûlot allemand d’Ilker Çatak La salle des profs ou du film belge de Jawal Rhabib Amal - Un esprit libre qui sortira le 17 avril prochain. C’est aussi l’autorité du professeur déchu de sa position tutélaire qui est ici en question à travers la dégradation de ce sacerdoce à l’avant-garde de la laïcité vers un métier à haut risque dont attestent les assassinats consécutifs de Samuel Paty et Dominique Bernard. Teddy Lussi-Modeste choisit à dessein de se focaliser sur les gestes et les regards de ses protagonistes, avec le lot de méprises et de malentendus qu’ils peuvent engendrer. On est loin de l’angélisme d’André Cayatte mettant en scène dans Les risques du métier (1967) l’accusation de viol portée contre un enseignant par l’une de ses élèves. Dans Pas de vagues, tout est plus sournois (en outre, le prof incriminé est… homosexuel), avec en toile de fond la solidarité d’un système endogamique soucieux avant tout de se protéger face à la société dont il est supposé constituer une sorte de laboratoire. Autres temps, autres mœurs… Les réseaux sociaux sont passés par là qui démultiplient rumeurs et ragots, comme le montrait tout récemment HLM Pussy. La seule bande-annonce du film a d’ailleurs suscité des réactions pour le moins contrastées sur les réseaux sociaux qui attestent de ce phénomène de contagion abrasive. Mieux vaut voir le film pour vérifier de quoi il retourne véritablement. On y découvrira une œuvre équilibrée qui vise davantage à calmer le jeu qu’à échauffer les esprits en décodant sans manichéisme les ravages dévastateurs de la rumeur publique.
Jean-Philippe Guerand
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