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“La salle des profs” d’Ilker Çatak



Das Lehrerzimmer Film allemand d’Ilker Çatak (2023), avec Leonie Benesch, Michael Klammer, Rafael Stachowiak, Anne-Kathrin Gummich, Eva Löbau, Kathriin Wehlisch, Sarah Bauerett, Leo Stettnisch, Oscar Zickur, Antonia Küpper, Elsa Krieger, Vincent Stachowiak, Can Rodenbostel, Padmé Hamdemir, Lisa Marie Trense… 1h39. Sortie le 6 mars 2024.



Leonie Benesch (au centre)



Classe tous risques


L’éducation et la santé constituent en France les deux piliers les plus menacés de la république. À en croire le quatrième long métrage d’Ilker Çatak, la situation n’est guère plus enviable en Allemagne. Son scénario s’attache aux conséquences d’un événement a priori anodin auquel tout le monde n’accorde pas la même attention. Une série de vols suscite la suspicion d’une enseignante qui enclenche malgré elle une réaction en chaîne. Au risque d’emporter dans cette tourmente à la fois ses collègues, le personnel administratif, les élèves et même leurs parents. Un engrenage infernal qui pointe une à une les multiples faiblesses d’un univers refermé sur lui-même dont les responsables s’efforcent de colmater les brèches, parfois au prix de certains manquements aux règles élémentaires qui préservent tant bien que mal un système incapable de s’auto-réguler. La salle des profs est un film qui va crescendo jusqu’à une issue vraiment imprévisible en montrant les innombrables failles d’un système qui a érigé le silence en dogme et préfère enfouir ses dysfonctionnements les plus mineurs sous couvert de préserver une sorte de statu quo qui finit pas cristalliser les problèmes jusqu’à un point de non retour absurde. La mise en scène s’aligne sur cette escalade au point de confronter son enseignante vertueuse à un idéaliste proprement intenable. Elle est en cela comparable au shérif seul contre tous campé par Gary Cooper dans Le train sifflera trois fois (1952) de Fred Zinnemann : héroïque jusqu’à l’absurde sous prétexte de faire triompher la loi sur l’obscurantisme.



Leonie Benesch



Le silence de l’amer


L’établissement scolaire est mis en scène ici comme un microcosme en fusion où s’expriment les mêmes tensions et des sentiments identiques que dans la société toute entière. Avec comme épicentre une classe de cinquième qui constitue en soi une société en miniature qui ne va faire que se crisper autour de ses habitudes et de ses pratiques. La salle des profs ne professe aucune vision angélique et ne préconise pas la moindre solution fumeuse pour modifier une situation figée où la moindre initiative est perçue comme un signe de rébellion voire une agression insupportable contre des institutions pourtant déjà rudement éprouvées. Certains auraient choisi le parti d’en rire. Ilker Çatak pousse le postulat jusqu’à l’absurde. Au point de réduire longtemps les élèves à la portion congrue au profit de l’enseignante qui voit le sol s’évanouir sous ses pieds, avant de les propulser sur le devant de la scène au moment le plus opportun. Le constat est amer, mais le film percutant. Il repose en outre sur une comédienne prodigieuse, Leonie Benesch, découverte naguère dans Le ruban blanc de Michael Haneke (2009), qui joue de son étrangeté en prenant le risque de ne pas toujours susciter l’unanimité, tant elle incarne une rigidité contradictoire avec le milieu conformiste dans lequel elle évolue. Reste que ce brûlot universel va au bout de son propos avec une détermination sans faille et rejoint pas sa profonde désillusion des films qui confrontent le système éducatif à l’évolution des mœurs, de Graine de violence (1955) de Richard Brooks à Entre les murs (2008) de Laurent Cantet, en exaltant l’idéalisme de tous les Samuel Paty et Dominique Bernard sacrifiés sur l’autel de l’intolérance.

Jean-Philippe Guerand






Leonie Benesch (au centre)

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