Accéder au contenu principal

“Marx peut attendre” de Marco Bellocchio



Marx può aspettare Documentaire italien de Marco Bellocchio (2021), avec Marco Bellocchio, Alberto Bellocchio, Letizia Bellocchio, Pier Giorgio Bellocchio, Maria Luisa Bellocchio, Piergiorgio Bellocchio, Pia Bareggi, Elena Bellocchio, Francesco Bellocchio, Gianni Schicchi… 1h36. Sortie le 1er novembre 2023.



Camillo et Marco Bellocchio



C’est au moment même où sort son dernier film de fiction, L’enlèvement, que son distributeur programme l’un des opus précédents de Marco Bellocchio, un documentaire présenté dans la section Cannes Première au cours du festival 2021 au cours duquel il a reçu une Palme d’honneur, en lieu et place de la distinction suprême qui lui a toujours échappé. Le cinéaste italien y lève le voile sur une zone d’ombre de son existence : la mort de son frère jumeau Camillo en 1968. Un devoir de mémoire qui passe par une réunion de famille au cours de laquelle il s’interroge sur la personnalité de ce cher disparu qui était biologiquement son double, mais qui souffrait de troubles neurologiques. Ce projet très intime mais d’une grande retenue esquisse aussi le portrait d’une génération dont les illusions se sont fracassées contre le fameux principe de réalité. D’où son titre évidemment ironique… Ce frère disparu agit en fait comme un révélateur pour l’artiste dont il a nourri inconsciemment l’inspiration à travers son engagement. Un télescopage temporel étonnant nous convie à découvrir ce film tout juste deux mois après Le procès Goldman de Cédric Kahn qui traitait quant à lui des désillusions post-soixante-huitardes à l’origine de plusieurs groupes terroristes européens dont la Bande à Baader en Allemagne et les Brigades Rouges en Italie auxquelles Bellocchio a consacré plusieurs films. L’autobiographie est donc ici le miroir d’une époque troublée au cours de laquelle bien des idéologies se sont fracassées, laissant orphelins les enfants de la révolution qui avaient eu la faiblesse de croire au Grand Soir. Le réalisateur a en effet lui-même milité au sein d’un groupe maoïste, l’Union des communistes italiens (marxistes-léninistes) fondée en octobre 1968.





Marx peut attendre est un véritable exorcisme cinématographique au fil duquel Marco Bellocchio dévoile au cercle de ses intimes un secret de famille qui le hante et dont il cherche les traces au hasard de sa filmographie et en questionnant ceux des aînés qui ont connu ce fantôme obsédant. Une quête personnelle et artistique passionnante qui aboutit à un autoportrait d’une rare sincérité ponctué d’extraits de films hantés par cet absent envahissant dont il s’accuse de ne pas avoir perçu la douleur de vivre et empêché le geste fatal. Il émane paradoxalement de ce film en forme de confessionnal collectif une force de vie revigorante. Peut-être parce que Bellocchio ne se retourne sur ce passé douloureux qu’à plus d’un demi-siècle de distance et qu’en quelque sorte les jeux sont faits. Il n’est plus ce jeune homme en colère qui venait de débarquer dans le cinéma avec deux brûlots engagés : Les poings dans les poches (1965) et La Chine est proche (1967). En revanche, il s’en veut d’être passé à côté de l’essentiel, la chair de sa chair : ce jeune homme de 29 ans en proie à des démons qu’il n’est pas parvenu à partager pour s’en soulager. Avec à la clé un remords entêtant dont des réminiscences parfois infimes jalonnent l’œuvre engagée du survivant, du Saut dans le vide (1980) au Sourire de ma mère (2002) et au Metteur en scène de mariages (2006). Nul besoin d’être un exégète averti du cinéaste pour percevoir ce sentiment qui le ronge mais dont ce documentaire à cœur ouvert dévoile l’origine avec une grande sincérité.

Jean-Philippe Guerand






La famille Bellocchio

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Le paradis des rêves brisés

La confession qui suit est bouleversante… © A Medvedkine Elle est le fait d’une jeune fille de 22 ans, Anna Bosc-Molinaro, qui a travaillé pendant cinq années à différents postes d’accueil à la Cinémathèque Française dont elle était par ailleurs une abonnée assidue. Au-delà de ce lieu mythique de la cinéphilie qui confie certaines tâches à une entreprise de sous-traitance aux méthodes pour le moins discutables, CityOne (http://www.cityone.fr/) -dont une responsable non identifiée s’auto-qualifie fièrement de “petit Mussolini”-, sans nécessairement connaître les dessous répugnants de ses “contrats ponctuels”, cette étudiante éprise de cinéma et idéaliste s’est retrouvée au cœur d’un mauvais film des frères Dardenne, victime de l'horreur économique dans toute sa monstruosité : harcèlement, contrats précaires, horaires variables, intimidation, etc. Ce n’est pas un hasard si sa vidéo est signée Medvedkine, clin d’œil pertinent aux fameux groupes qui signèrent dans la mouva...

Berlinale Jour 2 - Mardi 2 mars 2021

Mr Bachmann and His Class (Herr Bachmann und seine Klasse) de Maria Speth (Compétition) Documentaire. 3h37 Dieter Bachmann est enseignant à l’école polyvalente Georg-Büchner de Stadtallendorf, dans le Nord de la province de Hesse. Au premier abord, il ressemble à un rocker sur le retour et mêle d’ailleurs à ses cours la pratique des instruments de musique qui l’entourent. Ses élèves sont pour l’essentiel des enfants de la classe moyenne en majorité issus de l’immigration. Une particularité qu’il prend constamment en compte pour les aider à s’intégrer dans cette Allemagne devenue une tour de Babel, sans perdre pour autant de vue leurs racines. La pédagogie exceptionnelle de ce professeur repose sur son absence totale de préjugés et sa foi en une jeunesse dont il apprécie et célèbre la diversité. Le documentaire fleuve que lui a consacré la réalisatrice allemande Maria Speth se déroule le temps d’une année scolaire au cours de laquelle le prof et ses élèves vont apprendre à se connaître...

Bud Spencer (1929-2016) : Le colosse à la barbe fleurie

Bud Spencer © DR     De Dieu pardonne… Moi pas ! (1967) à Petit papa baston (1994), Bud Spencer a tenu auprès de Terence Hill le rôle de complice qu’Oliver Hardy jouait aux côtés de Stan Laurel. À 75 ans et après plus de cent films, l’ex-champion de natation Carlo Pedersoli, colosse bedonnant et affable, était la surprenante révélation d’ En chantant derrière les paravents  (2003) d’Ermanno Olmi, Palme d’or à Cannes pour L’arbre aux sabots . Une expérience faste pour un tournant inattendu au sein d’une carrière jusqu’alors tournée massivement vers la comédie et l’action d’où émergent des films comme On l’appelle Trinita (1970), Deux super-flics (1977), Pair et impair (1978), Salut l’ami, adieu le trésor (1981) et les aventures télévisées d’ Extralarge (1991-1993). Entrevue avec un phénomène du box-office.   Rencontre « Ermanno Olmi a insisté pour que je garde mon pseudonyme, car il évoque pour lui la puissance, la lutte et la viol...