Rapito Film italo-franco-allemand de Marco Bellocchio (2023), avec Paolo Pierobon, Enea Sala, Leonardo Maltese, Fausto Russo Alesi, Barbara Ronchi, Samuele Teneggi, Filippo Timi, Fabrizio Gifuni, Aurora Camatti, Paolo Calabresi, Bruno Cariello, Andrea Gherpelli, Walter Lippa… 2h14. Sortie le 1er novembre 2023.
Leonardo Maltese
Accueilli avec davantage de respect que d’enthousiasme au dernier Festival de Cannes, le dernier opus en date de Marco Bellocchio n’a pas suscité un retentissement suffisant pour pouvoir prétendre à cette Palme d’or après laquelle court le cinéaste italien depuis un demi-siècle. Le film semblait pourtant posséder tous les atouts susceptibles de lui valoir cette reconnaissance tardive qui échappe mystérieusement à certains marathoniens au profit de quelques feux follets. Mais seule la postérité sera à même de statuer quant à la légitimité de ces choix. L’enlèvement traite d’un sujet vraiment sidérant à laquelle l’actualité récente a apporté un relief inattendu, mais dont le contexte historique sulfureux aurait pu donner lieu à une violente polémique à une autre époque. Tout commence en 1857 dans le quartier juif de Bologne où des soldats du Pape-roi Pie IX kidnappent un gamin de 7 ans sous prétexte qu’une servante l’aurait fait baptiser en secret, à la suite d’une poussée de fièvre inquiétante. Il doit donc en tant que tel être élevé dans la foi catholique. Commence alors un combat interminable entre la famille soutenue par la société civile italienne et les plus hautes autorités de l‘Église. Un sujet d’autant plus polémique que l’enfant s’est soumis à ses ravisseurs dans une préfiguration de ce qu’on a appelé plus tard le syndrome de Stockholm.. Après avoir été instrumentalisé à outrance par ses ravisseurs, il va devenir leur complice prosélyte. On retrouve là la défiance de Bellocchio à l’égard du pouvoir occulte de la religion exprimée notamment dans Au nom du père (1971).
Paolo Pierobon
Aujourd’hui octogénaire, Marco Bellocchio incarne une génération d’intellectuels européens séduits par le marxisme qui portent sur l’histoire un regard particulièrement critique, mais refusent de baisser les bras. Contrairement à son compagnon de lutte Bernardo Bertolucci qui s’est quelque peu embourgeoisé avec l’âge en se frottant à des superproductions internationales, il continue à s’accrocher à ses convictions et à pratiquer un cinéma de dénonciation dont témoignent des films tels que Vincere (2009) ou Le traître (2019), scandaleusement boudés par les jury cannois, ou les divers opus qu’il a consacré à l’enlèvement d’Aldo Moro considéré comme le péché originel qui a entraîné les lents errements de la démocratie italienne. Constante de son œuvre engagée, le passé sert à éclairer le présent et le pouvoir absolu est décrit comme un fléau, la cible étant en outre cette fois la toute-puissance de l’Église catholique qui se substitue en toute impunité aux autorités politiques. L’affaire Mortara intervient en effet à une époque où la souveraineté de la papauté est contestée par la société civile dont elle piétine sans vergogne les prérogatives. Cette histoire fascinante, Bellocchio l’aborde comme le prétexte à l’évocation d’une époque troublée où le principe de laïcité se heurte à un pouvoir occulte qui use de son pouvoir d’influence, de son prestige et de sa richesse pour lever une armée en se substituant à une Italie désunie dont les institutions semblent trop fragiles pour s’y opposer. Un discours qui peut se décliner aujourd’hui dans certaines nations dotées d’une religion d’État où la notion même de démocratie est illusoire.
Jean-Philippe Guerand
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