Film français de Cédric Kahn (2023), avec Arieh Worthalter, Arthur Harari, Stéphan Guérin-Tillié, Nicolas Briançon, Aurélien Chaussade, Christian Mazzuchini, Jeremy Lewin, Jerzy Radziwilowicz, Chloé Lecerf, Laetitia Masson, Didier Borga, Arthur Verret, Priscilla Lopes, Paul Jeanson, François Favrat… 1h55. Sortie le 27 septembre 2023.
Arthur Harari
Un Goldman peut en cacher un autre. Alors que les médias célèbrent la biographie consacré par Ivan Jablonka à Jean-Jacques Goldman, son demi-frère aîné Pierre Goldman revient sur le devant de l’actualité dans le film que lui consacre Cédric Kahn, tout juste quarante-quatre ans après son assassinat jamais élucidé. Tombé dans la délinquance après avoir milité à l’extrême-gauche, cet homme qui a intitulé ses mémoires “Souvenirs obscurs d'un juif polonais né en France” devient un véritable symbole pour une certaine intelligentsia. Condamné à perpétuité en première instance, à la suite d’une vaste campagne de soutien et grâce à un vice de procédure rarement retenu, il est jugé à nouveau au printemps 1976 à Amiens dans un contexte plutôt houleux, malgré la présence de ses soutiens dont sa famille (on entraperçoit même le jeune Jean-Jacques Goldman) et des personnalités parmi lesquelles Simone Signoret dont on identifie aisément la silhouette. C’est ce moment précis autour duquel se concentre le film de Cédric Kahn, sans jamais chercher à rendre particulièrement sympathique cet accusé ombrageux qui prend en grippe son propre avocat, Georges Kiejman, et affiche une arrogance déconcertante en confondant parfois le tribunal avec une tribune. Il convient de louer ici l’interprétation exceptionnelle qu’en donne l’acteur belge Arieh Worthalter sans jamais chercher à susciter la moindre empathie pour son personnage, malgré un charisme indéniable quine fait que rendre sa personnalité encore plus énigmatique.
Arieh Worthalter
En relatant cette affaire emblématique des dérives de l’extrême-gauche dans une France post-soixante-huitarde en ébullition, Le procès Goldman rejoint ce beau film méconnu d’Olivier Assayas intitulé Après Mai (2012). Cédric Kahn ne procède cependant pas de façon classique en usant de flashes-back, mais reste confiné pour l’essentiel dans ce prétoire où l’accusé fait face à ses juges, en cherchant moins à les amadouer ou à les convaincre de son innocence qu’à délivrer un message politique un peu désespéré. L’habileté du scénario est d’éviter de prendre parti pour ou contre l’accusé, mais de montrer le fonctionnement de la justice face à un révoolté. Un cadre avec lequel le cinéma nous a maintes fois familiarisés chez André Cayatte et Otto Preminger, y compris récemment dans Saint Omer d’Alice Diop et Anatomie d’une chute de Justine Triet dont le coscénariste Arthur Harari campe ici Georges Kiejman. C’est pourtant moins la culpabilité de Pierre Goldman qui intéresse Cédric Kahn que sa personnalité de révolutionnaire poussé à la délinquance, lui le fils d’un couple de héros de la résistance juive communiste d’origine polonaise condamné à ne jamais être à la hauteur de ses parents qu’il respecte cependant au plus haut point. Le propos mémoriel de ce film dépourvu d'effets inutiles prend donc une dimension sociétale et historique plus vaste, Le procès Goldman étant aussi celui de la France de l’Après-Guerre qui a refusé de régler ses comptes avec son passé au nom de la réconciliation nationale prônée par le général de Gaulle. Quitte à en subir les effets collatéraux à retardement et à voir ses victimes lui demander de rendre des comptes pour pouvoir se mettre en paix avec ce pays qui s'est dérobé devant ses responsabilités au point de ne pas reconnaître la culpabilité des maillons les plus faibles de son administration. Le procès Goldman est aussi celui d’une nation confrontée aux plaies mal refermées de son passé.
Jean-Philippe Guerand
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