Le cinéma dans tous ses états…
Des critiques de films.
Des interviews de réalisateurs.
Des confessions d’artistes.
Des coups de cœur.
Des hommages.
Des célébrations.
Des partis pris.
Des festivals, des expositions, des rétrospectives.
Des photos, des bandes annonces, des extraits…
Élève de Serge Toubiana à l’université de Paris-Censier et diplômée du
Conservatoire National d’Art Dramatique (CNSAD) où elle a eu pour professeurs
Michel Bouquet et Antoine Vitez, Catherine Corsini, née en 1956 à Dreux, n’a
joué pour le cinéma que dans son premier film, Poker (1987), le court métrage d’Ismaël Ferroukhi L’exposé (1993) et De particulier à particulier de Brice Cauvin (2006). Elle se fait
connaître en tant que réalisatrice grâce à trois courts : La mésange (1982), Ballades (1983) et Nuit de
Chine (1986). Au lendemain de son premier long, elle se partage entre la
télévision, pour laquelle elle tourne un épisode de la série Haute tension (1991), Interdit d’amour (1992), Jeunesse sans Dieu (1996) et Denis (1998), et le cinéma pour lequel
elle signe Les amoureux (1994) avant
de connaître son premier succès public avec La
nouvelle Ève (1999) qui consacre le talent de Karin Viard. Coscénariste d’À
toute vitesse (1996) de Gaël Morel et Nés
en 68 (2008) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau, elle s’engage dans
une campagne contre les violences conjugales à travers le court métrage Mohammed (2001) diffusé dans le cadre du
film à sketches Pas d’histoires !
Suivront La répétition, en
compétition à Cannes en 2001, puis Mariées
mais pas trop (2003), Les ambitieux
(2006), Partir (2009), Trois mondes (2012), La belle saison (2015) et l’adaptation
du roman de Christine Angot Un amour
impossible dans lequel la papesse de l’auto-fiction évoque les amours
ancillaires et compliquées de ses parents dans une province française pas
vraiment concernée par la révolution des mœurs. Elle réunit à cette occasion deux
acteurs que tout semblait a priori opposer : la lumineuse Virginie Efira et
le ténébreux Niels Schneider dont la complicité s'est prolongée dans la vie. Comme un amour possible…
Qu’est-ce qui vous a décidé à adapter Un amour impossible de Christine Angot ?
Catherine Corsini Je cherchais un sujet. J’avais écrit plusieurs petits synopsis et ma
productrice m’a dit : « Dans le
livre de Christine Angot que je viens de lire, je suis sûre qu’il y a quelque
chose qui va te concerner, qui va te happer. » Et effectivement, quand
je l’ai découvert, j’y ai trouvé ce côté nostalgique, cette traversée du temps,
des années 50, ce portrait de ces femmes et la richesse de ces gens qu’on a
exclus à un moment sous prétexte de déterminisme social. On leur a dit : « Vous êtes à cette place et vous
n’allez plus en bouger. » Le livre parle de la façon dont cette femme
ordinaire qui devient pour moi une femme extraordinaire et une héroïne se bat
et comment elle réussit à se transformer, malgré toutes les embûches qu’il y a
sur son trajet. Il y avait pour moi dans ce roman tous les ingrédients qui me
font triper quand je vois un film et que j’ai envie de raconter. Je me retrouvais
donc complètement dans le sujet, dans l’histoire, à des endroits différents.
Cet amour impossible auquel se réfère le titre, n’est-il pas en fait
multiple dans le film ?
C. C.
Ce qui est marrant, c’est que je me disais aussi que c’était un film impossible,
dans la mesure où je me demandais comment réussir à transformer ce roman en un
scénario. Au départ, j’étais fascinée comme on peut l’être quand on est enfant
par l’histoire d’amour de ses parents. Comme mon père est décédé et que j’ai
vécu sous l’aune d’un père extraordinaire, d’une histoire d’amour sublime que
ma mère aurait eue avec lui et que son décès a malheureusement tout cassé, il y
avait donc là aussi l’histoire de cette enfant qui raconte là où elle n’a pas
été, là où elle ne connaît pas l’histoire de ce père qui est fascinant, qui a
l’air très érudit, qui arrive dans cette petite ville de Châteauroux après la
guerre, qui est porté d’une espèce d’aura d’intellectuel, qui cite Nietzsche,
et de cette femme qui est secrétaire et qui trouve sans intérêt et tristes tous
les petits bonshommes de Châteauroux qu’elle croise, comme elle dit. Au
contraire de lui qui enchante son quotidien, même s’il est parfois un peu
particulier et qu’il a des espèces de théories un peu fumeuses, mais elle
marche. Et c’est vrai que c’est cette première histoire que je trouvais belle.
Et puis, comme dans beaucoup de films et de romans, l’homme s’en va, laisse la
femme enceinte et disparaît. Sauf que là il va revenir plusieurs fois, parce
qu’il a un lien avec cette femme dont on cherche pendant tout le film à savoir
ce qu’il est. Il ne la lâche pas, mais en même temps il la méprise, il revient
vers elle et il trouve quelque chose entre eux dans un rapport sado-maso et une
espèce d’amour un peu particulière. Et puis, elle lui tient tête aussi et c’est
ça qui l’excite. Dans toute l’autre partie, il y a comment cette mère transmet
l’amour de ce père à sa fille. Elle lui dit que beaucoup de femmes auraient pu
avoir honte et dire : « C’est
horrible ce qui nous arrive. Ton père est parti, on va être la risée des gens
autour et c’est très dur à vivre. » Au contraire, elle lui dit : « Tu es une enfant de l’amour qui a été
désirée. » Donc elle a cette force et l’ambiguïté de ce personnage de
Rachel, c’est que sa force est aussi la cause de son aveuglement. Dans tous les
cas, se crée par la suite l’histoire de cette petite fille qui va avoir une
image de son père tellement idéalisée qu’il va y avoir aussi une histoire
d’amour entre le père et la fille et évidemment entre la mère et la fille, car
tout l’amour qu’elle n’arrive plus donner à cet homme, elle le transmet à sa
fille qu’elle élève dans l’idée qu’elle est exceptionnelle. Elle lui transmet
peut-être aussi toute la frustration qu’elle n’a pas réussi à vivre avec cet
homme. Il y a donc effectivement plusieurs histoires d’amour qui se terminent à
chaque fois par des chaos. C’est aussi pourquoi le roman m’a attiré. Je
trouvais qu’il y avait aussi quelque chose de très dramatique, comme ce qu’on
peut avoir envie de trouver dans un film mélodramatique : des gens qui se
prennent des portes énormes mais qui se relèvent toujours.
Bande annonce de La belle saison (2015) de Catherine Corsini
De film en film, vous semblez assumer de mieux en mieux les conventions
du mélo. Comment l’expliquez-vous ?
C. C.
Une fois, j’ai voulu travailler avec une personne sur un de mes films et elle
m’a dit : « Malheureusement, je
ne suis pas libre, mais j’adore vos mélos. » Ça m’a fait réfléchir. Et
puis, en voyant mon dernier film, La
belle saison, et ce qu’il a suscité comme émotions chez les gens, je me
suis rendu compte que le mélo est une forme qui me sied et dans laquelle j’ai
l’impression que j’arrive à capter toutes les vies, les déceptions et les rêves
d’une certaine catégorie de gens qui aimeraient se dépasser et qui vivent en
fait des choses extraordinaires mais ne s’en rendent parfois pas compte parce
qu’ils sont complètement prisonniers de ce qu’ils sont. Mais c’est vrai que
j’ai souvent envie de leur rendre hommage ou de travailler sur ces petites vies
qui rencontrent des obstacles, des personnes qui parfois les mettent en danger.
Comment ils s’en sortent, comment ils grandissent, comment l’humain se crée des
chemins pour résister. Tout ça m’intéresse et est souvent bouleversant, et la
vie des gens avec le temps de pouvoir revisiter toute une époque que j’ai vécue
en la restituant a effectivement quelque chose de bouleversant que je trouve
aussi réjouissant.
Pourquoi avez-vous choisi Virginie Efira pour incarner cette femme qui
rayonne jusque dans la détresse ?
C. C.
Au départ, je n’avais aucune idée de l’actrice que j’allais choisir. Je me
demandais qui pourrait jouer un rôle où l’on passe de 27 à 75 ans. J’avais
pensé à deux ou trois actrices très connues, parce que je me disais que c’était
indispensable pour un film de cette envergure, mais je n’avais ni envie ni coup
de foudre. Et puis, j’ai eu l’occasion de rencontrer Virginie Efira pendant une
émission de radio et je me suis demandé pourquoi je n’avais pas eu cette
curiosité d’aller vers elle, parce que j’ai tout de suite trouvé qu’elle avait
une ressemblance et des points communs avec le personnage de Rachel dans une
espèce de dignité. Elles ont l’une et l’autre les pieds sur terre et aussi une
même modestie. Virginie Efira a suivi un parcours d’actrice étrange : elle
vient de la télé et elle a fait de la comédie. C’est quelqu’un qui évolue, mais
qui a longtemps été considérée comme une présentatrice. Il y avait finalement comme
une espèce d’accointance entre elle et son personnage. Elle a lu le roman de
Christine Angot et était très enthousiaste à l’idée de faire ce film, mais
comme je ne l’avais jamais vue dans un rôle dramatique, nous avons décidé de
faire une journée d’essais ensemble et elle m’a encouragée à la pousser. Nous
avons travaillé main dans la main en présence de la chef opératrice, Jeanne Lapoirie,
en apportant des costumes et en utilisant du maquillage pour juger de son
rajeunissement et de son vieillissement. Des copains à moi sont venus lui
donner la réplique. À la suite de cette journée, j’étais ravie et emballée.
J’ai trouvé aussi qu’elle avait une grande intelligence du personnage et nous
avons passé notre temps à réfléchir autour de cette femme.
Quels repères lui avez-vous donné pour s’approprier son
personnage ?
C. C.
Nous avons vu des films ensemble. Personnellement, j’avais en tête Le bonheur d’Agnès Varda, l’un des rares
films des années 60 à évoquer la condition féminine, à une époque où il n’y
avait encore que très peu de réalisatrices, ce qui explique en partie pourquoi
on ne s’intéressait pas à ces thèmes, à quelques exceptions près. Je lui ai aussi
montré une scène de Max et les
ferrailleurs qui comptait beaucoup pour moi, car c’est à mon sens
l’histoire d’une femme qui se tient debout et que Romy Schneider a un côté
assez fort que peut avoir Virginie. Il y avait aussi quelque chose de cette
époque que je voulais qu’elle voie pour essayer d’absorber et de se nourrir de
ces actrices, notamment Jeanne Moreau, qu’on voit d’ailleurs furtivement dans
le film quand elle va au cinéma, ou ces femmes qui enchantaient leur quotidien
de ces années-là, parce que le cinéma, c’était quelque chose d’important,
c’était un ailleurs. Il y avait aussi les magazines de mode, car toutes ces
filles rêvaient du prince charmant mais aussi d’histoires un peu dramatiques. Nous
avons donc regardé beaucoup de choses ensemble dans le but préparer la première
scène où elle craque, parce qu’elle se défend toujours et que ce qui est beau
dans son personnage, c’est qu’elle prend des coups mais qu’elle se bat et reste
debout. On se demande comment elle peut endurer et accepter, mais on est avec
elle et tout d’un coup, il y a un moment où elle tombe. En fait, j’étais très
inquiète de comment on allait tourner cette scène et dès la première prise, je
n’en revenais pas de la façon dont Virginie avait tout de suite pu l’incarner
avec autant de justesse et de force. Je n’avais rien à dire. On l’a refaite,
mais on a monté la première prise. C’est une actrice incroyable qui est un
mélange de force, d’intuition et aussi de générosité. Toute l’équipe était
sidérée par sa prestation et c’est là que je me suis dit que c’était une grande
actrice.
Bande annonce du Bonheur (1964) d’Agnès Varda
Pourquoi avez-vous choisi Niels Schneider pour incarner ce fils de
famille qui l’a séduit et l’abandonne ?
C. C.
Un acteur dont j’avais envie me dit non, d’autres me semblaient trop confortables
dans le rôle, mais je n’étais pas convaincue. Du coup, je suis allée vers Niels
un peu par provocation, parce que j’y croyais sans y croire et que je le
trouvais trop jeune. En fait, ce que je lui ai dit l’a presque excité. Nous
avons procédé à des essais chez moi, sur mon canapé, avec Virginie, et quand il
est arrivé, il a tout de suite réussi à saisir ce mélange de morgue et de
charme et a trouvé comment exercer son ascendant sur elle, ce qui était
d’autant moins facile qu’il est à la fois plus jeune et moins connu en tant qu’acteur.
Je me suis dit alors que c’était gagné, parce qu’il fallait qu’elle soit complètement
conquise par lui, qu’elle soit subjuguée et qu’elle le renvoie dans les cordes
avec un peu de mépris envers sa condition sociale. Et il a pigé ça. Niels est
un acteur curieux qui n’a pas peur d’aller vers des zones d’ombre complexes. Ce
rôle un peu fou peut sembler effrayant et renvoyer au public une image
déplaisante, mais il raconte l’humain et je pense que les acteurs ont envie de
se frotter à ces choses douloureuses et compliquées parce qu’il s’agit de
restituer la palette des sentiments et d’aller creuser les choses les plus
folles et les plus dangereuses. En tout cas, c’est un personnage qui l’a hanté
pendant le tournage, mais qu’il a appréhendé avec une envie d’arriver à le
montrer tel qu’il était, sans chercher à le sauver.
Quels modèles lui avez-vous donnés ?
C. C.
Je pensais à Maurice Ronet, un acteur que j’ai toujours trouvé très fascinant
par son ambiguïté et son opacité. Or, c’était ce côté du personnage qui
m’intéressait, donc c’est là-dessus que nous avons travaillé.
Qu’en est-il du statut de la femme qu’évoque le film ?
C. C.
Rachel incarne vraiment une modernité dont elle ne se rend pas compte. Elle est
féministe sans le savoir, en fait, parce qu’elle assume à la fois le fait
d’élever sa fille seule, qui est un statut assez dingue par rapport à ces
années-là, le fait de travailler et aussi de vouloir évoluer socialement. C’est
une femme issue d’une condition sociale modeste qui essaie tout de même de
séduire et qui aujourd’hui a lu intégralement Proust, alors qu’au départ, elle
devait lire les revues de l’époque. On sent chez elle une sorte de traversée du
temps qui est assez étonnante. Elle est combative et dans ce combat elle
cherche toujours à comprendre, alors que Philippe est collé à sa caste et à sa
classe. Il essaie de penser qu’il est un original, qu’il est quelqu’un de
particulier parce qu’il lit Nietzsche, avec l’idéologie douteuse qui va avec, mais
le fait qu’il connaisse trente langues constitue chez lui une espèce
d’anormalité. Et puis, il assume sans vergogne son statut de grand bourgeois
protégé par son père, un industriel tout puissant qui incarne la survivance
d’une autre époque par le pouvoir qu’il exerce. Il raconte quand même que lors
de son service militaire, il a tué quelqu’un par accident, qu’il s’est enfui et
que seul son père l’a défendu quand il est resté en prison, on sent quand même
qu’il se veut hors des lois, mais que sa famille est dysfonctionnelle. Il
raconte aussi que sa mère s’est suicidée à la suite d’un repas dominical et que
quand la famille est partie au parc Monceau, elle s’est jetée par la fenêtre et
est tombée à ses pieds. C’est troublant.
Bande annonce d'Un amour impossible (2018) de Catherine Corsini
Le film
a-t-il pu être tourné en respectant la chronologie ?
C. C.Ça fait malheureusement partie
aujourd’hui de beaucoup de films de ne pas pouvoir tenir compte de la
chronologie. Par ailleurs, je tenais beaucoup à tourner à Châteauroux, alors
même que nous n’avions pas d’aide de la région Centre-Val de Loire. Malgré tout,
nous avons réussi à aller dans tous les endroits où le film existait,
c’est-à-dire Châteauroux, Strasbourg, Gérardmer, Reims et les plages du Nord.
Comme nous avions une aide de la région parisienne, nous y avons vraiment
tourné la moitié du film, notamment les scènes du bal, de la fête foraine et
tous les appartements, le tout dans une discontinuité absolue. Mais,
paradoxalement, ces contraintes nous ont aussi obligés à être concis, précis et
à arriver vraiment dans les scènes en se reconcentrant sur l’endroit du récit
où l’on en était. Du coup, cette gymnastique nous a amenés à une espèce de
vigilance, mais c’était difficile car par moments il suffisait d’un petit
détail pour que l’acteur nous demande : « Mais c’est bien, ça ? » Cependant nous étions tous
concernés par ce travail sur la continuité et toute l’équipe était tendue vers
cet objectif. Pour les acteurs, ça consistait à construire des personnages à
l’aide de bouts de puzzle. Dans tous les cas, j’étais obligée d’en tenir compte
et d’en faire un atout susceptible de nous dynamiser et de créer quelque chose
de plus positif à partir de ce patchwork, un peu comme dans un rébus ou dans la
psychanalyse, en amenant à une réflexion sur le rôle ou même sur le découpage.
J’essaie maintenant d’en tirer quelque chose de dynamique. Par ailleurs, c’est
un film où il y a beaucoup de décors et parfois je n’arrivais même pas à les
voir terminés tellement on les construisait peu de temps en amont du tournage,
pour des raisons de logistique. Par exemple, au début, je voulais absolument ce
plancher sur lequel la petite fille fait du patin à roulettes, parce qu’il me
renvoyait à ma propre enfance. Il y avait des détails que je trouvais très
signifiants comme aussi la machine à coudre de cette époque, mais ça demande du
temps de passer d’un décor à l’autre et c’était parfois très intense, donc
d’autant plus douloureux d’abandonner une carte postale pour passer à une
autre, un peu aussi comme dans le roman Les
années d’Annie Ernaux où il y a des détails de nos vies qui défilent, sans
que ça soit lourd ou qu’on sente la reconstitution. Il fallait que ce soit des
évocations, mais qu’il n’y ait pas trop de papiers peints d’époque pour rester
neutre. Le risque était de surcharger et de surligner, mais c’était un travail
d’autant plus intéressant à faire que le choix qui s’offrait à nous aurait pu s’avérer
pléthorique et même écœurant. Il fallait que ce soit juste de l’évocation et
c’était un travail assez fin à exécuter.
Dans un cas comme celui-là, le montage a-t-il constitué une épreuve de
vérité ?
C. C.
Ce qui était compliqué sur Un amour
impossible, c’était que toutes les scènes tenaient, mais qu’il fallait
trouver le bon timing. Ça tenait, mais c’était comme un soufflé : ça
retombait par moments. La difficulté était de tendre, avec la voix off qui
aidait par moment à passer d’une scène à l’autre. On aurait pu croire qu’il
suffisait de coller des morceaux de ce qu’on avait, mais non, il fallait tout
de même parfois un petit peu les tordre et les aiguiser, en trouvant la sortie
d’une scène et l’entrée d’une autre… Il s’est agi d’un travail d’une minutie
extrême. C’était un puzzle à composer où j’ai été vraiment proche du burnout
tellement c’était compliqué.
Beaucoup de choses ont-elles changé entre le film terminé et le
scénario de départ ?
C. C.
Très peu ! Nous avons peut-être coupé deux scènes et demie que j’aimais
bien et nous en avons réduit d’autres. Il y a un effet de construction qui a été
changé parce que je voulais commencer la séquence située au bord du lac de
Gérardmer par un flash forward, mais cette idée a finalement été abandonnée. Et
puis, au départ, la voix off était neutre et dite par un narrateur, mais je
trouvais que ça donnait trop de distance, donc nous l’avons ramenée du côté de
Chantal, comme dans le roman, ce qui semblait plus naturel. Il fallait trouver
comment rester en permanence dans le mouvement du temps et ne jamais s’arrêter.
Que représentait pour vous le fait de réaliser une adaptation ?
C. C. Ma seule
expérience dans ce domaine était jusqu’à présent une adaptation de Jeunesse sans Dieu d’Ödön von Horvath que j’avais réalisée en 1996 pour la télévision.
Cette nouvelle aventure m’a beaucoup plu, mais m’a aussi fait prendre
conscience qu’il faut tomber sur un roman qui fasse écho à sa propre vie. Il y
a dans Un amour impossible des thèmes
forts et présents sur la domination masculine et l’émancipation des femmes qui
me travaillent depuis plusieurs films et sont décrits avec extrêmement de
précision et de minutie. On ne tombe pas si souvent sur un livre avec lequel on
se sent autant en adéquation. Et puis, en même temps, c’est oppressant. Quand
on écrit soi-même un scénario, on invente et tout d’un coup on va permettre que
le personnage fasse ceci ou cela, avant de tout changer parce qu’on ne trouve
pas ça bien. Alors que quand on procède à une adaptation, on est tenu par
l’histoire et il ne peut théoriquement pas se passer autre chose que ce qui est
raconté dans le livre. Là, j’ai pourtant beaucoup conceptualisé, par exemple en
remplaçant des dialogues par cette fête foraine qui n’existe pas dans le roman,
afin de ramener de la vie, du visuel et une espèce de parfum d’époque qui se
promène dans le film. Aujourd’hui, je n’ai pas du tout envie de faire une
nouvelle adaptation, mais plutôt quelque chose de très libre. De même, après
deux films situés dans le passé, La belle
saison et Un amour impossible, je
suis davantage tentée de regarder vers l’avenir. Par ailleurs, j’ai disposé
dans ces deux cas de budgets plus importants que pour mes films précédents.
Combien a coûté Un amour impossible ?
C. C. Le budget
global s’élève à 7 M€, mais le financement proprement dit représente
environ 6,3 M€, ce qui en fait mon film le plus cher à ce jour. C’était
particulièrement compliqué pour la production car seul le coût de fabrication
était financé. Nous avons reçu des aides de quasiment tous les guichets que
nous avons sollicités, mais à des montants d’investissement pour certains plus
bas que ce que nous espérions, alors que ce film présentait des difficultés
particulières, en raison des différentes époques auxquelles il se déroule, de
la multiplicité des lieux et des décors. C’est par ailleurs le film le plus
long que j’aie réalisé à ce jour, tout simplement parce que la richesse du
sujet le nécessitait.
Comment Christine Angot a-t-elle réagi quand vous lui avez proposé
d’adapter son roman ?
C. C.
Notre engagement était qu’elle me laissait complètement libre et qu’elle
pouvait retirer son nom du générique si le scénario ou le film ne lui convenait
pas. Elle a lu le script et l’a trouvé formidable, puis elle a vu le film et
m’a dit l’avoir aimée. Sa mère l’a vue quant à elle deux fois. J’en suis très
contente et c’est une chance, mais trahir un auteur, ça fait presque partie du
concept de l’adaptation, parce qu’on choisit, qu’on réduit et qu’on met le coup
de projecteur sur une chose plutôt qu’une autre. Mais ce qui m’importait le
plus, c’est que les acteurs aiment le film, parce que vu le travail qu’on a
fait ensemble main dans la main, s’il ne leur avait pas plu, j’aurais été
terriblement déçue. Je trouve qu’il n’y a rien de pire pour un réalisateur.
Propos recueillis par
Jean-Philippe Guerand
En novembre 2018
Bande annonce de La nouvelle Eve (1999) de Catherine Corsini
Au fil des années, Catherine Corsini continue à filer sa pelote en circonscrivant son territoire aux confins de l’intime. D'abord avec La fracture (2021), une comédie romantique sur fond de crise du système de santé et fronde sociale, puis Le retour (2023) dans lequel une nounou africaine emmène ses deux filles en Corse où elle a vécu naguère une histoire d'amour sans issue avec leur père dont le spectre continue à la hanter
Bande-annonce de La fracture (2021)
Dans quelles conditions techniques et économiques Le retour a-t-il été tourné ?
Catherine Corsini Équipe classique. Deux tiers des cheffes de postes étaient des femmes. 35 jours de tournage. Mini Alexa 35. Tournage quasi exclusivement en extérieur donc les yeux rivés sur le bulletin météo. Une semaine difficile d’ailleurs avec tempêtes et orages et décisions compliquées à prendre de changement de plan de travail.
À quel point vous impliquez-vous personnellement dans votre métier de réalisatrice ?
C. C. Embarquer tout le monde dans une aventure, partager, chercher. Mais aussi observer, avoir un pied à l’extérieur pour comprendre ce que le film raconte en le tournant. Je n’ai pas de conception du métier, je vis un film et un tournage au plus près de ce que je découvre et de ce qu’il révèle. C’est un document aussi sur le moment présent. Le retour parle de mes origines à travers le voyage qu’effectuent une femme divorcée et ses deux filles en Corse d’où est originaire son ex-mari. Le film se déroule aujourd’hui, avec quelques brèves incursions il y a une quinzaine d’années.
Quelle est l’étape de la fabrication d’un film qui vous tient le plus à cœur ?
C. C. J’aime tous les stades. Ils ont tous leur lot de plaisirs, d’appréhensions et de défaites. Chercher le décor idéal est déjà une étape ou va s’incarner une part du film et à ce stade, ça peut être abandonner un rêve, recréer une autre géographie, dans tous les cas il faut y trouver plus qu’un décor, l’envie d’y tourner. Grâce à ma productrice Elisabeth Perez, qui est aussi ma compagne, j’ai appris à me livrer à travers mes films en flirtant avec l’intime et le mélodrame. Son exigence m’encourage à me recentrer sur une exigence et des thèmes sociaux et politiques. Et puis, comme aimait à le dire François Truffaut, je pense toujours au public.
Vous sentez-vous des affinités particulières avec d’autres cinéastes en particulier ?
C. C. J’aime beaucoup les films de mes amis. J’apprends à les connaître mieux et cela m’émeut. La foi de Noémie Lvosky dans La grande magie a été un bonheur absolu. Mais j’aime aussi Arnaud Despleschin comme Pierre Salvadori pour leur langue particulière qu’ils impriment dans leurs films.J’aime tous ces cinéastes avec qui j’ai démarré et dont les films m’ont impressionné par leur sens du récit, leurs personnages, leur audace, comme aussi Jacques Audiard, Christophe Honoré ou plus récemment Claire Burger et Samuel Theis. Je sens que quelque chose nous soude dans ce désir de filmer, de raconter, d’inventer.
Quelle est l’importance que vous accordez à la technologie et à ses progrès constants ?
C. C. Le cinéma est un art des grands bouleversements, le parlant, la couleur, le son dolby.Aujourd’hui, on peut quasiment tourner la nuit avec très peu d’éclairage. Et on ne tourne plus de la même façon avec une caméra numérique, qu’avec une caméra 35 mm. Le filmage s’est complètement transformé. On a beaucoup plus d’heures de rushes. On peut chercher en tournant. C’est plus physique, il me semble.
Que représente pour vous le Festival de Cannes où vous avez représenté les réalisatrices à une époque où elles se comptaient encore sur les doigts d’une main en sélection officielle ?
C. C. C’est Le plus grand festival de cinéma et il a su le rester. Il est d’une importance considérable pour les auteurs de films. Il les consacre, les révèle.C’est son poumon droit. C’est un festival où la notion d’auteur prime sur le cinéma commercial. Par exemple mon dernier film en sélection officielle, Le retour, n’a aucune vedette. C’est sûr qu’un film qui bénéficie du label Cannes met plus de chance de son côté pour sa notoriété. Ça reste une course d’aller à Cannes. Moi, j’aime bien les challenges, même si hypocritement tout le monde dit que c’est dépassé, et que les choix sont toujours arbitraires.
Avez-vous déjà d’autres projets en cours et que pouvez-vous déjà nous en dire ?
C. C. Oui, j’ai un nouveau film dans les tiroirs, mais je n’en dirai rien. J’ai hâte de m’y consacrer.
Commentaires
Enregistrer un commentaire