Film franco-libano-canado-quatarien de Khalil Joreige et Joana Hadjithomas (2020), avec Rim Turki, Manal Issa, Paloma Vauthier, Isabel Zighondi, Jade Chabonneau, Reem Khoury, Hassan Akil, Clémence Sabbagh, Rabih Mroue, Patrick Chemali… 1h40. Sortie le 19 janvier 2022.
Manal Issa
Le cinéma libanais reste hanté par la guerre civile qui a déchiré le pays du Cèdre au début des années 80, ainsi que l’attestaient encore récemment Sous le ciel d’Alice de Chloé Mazlo et Liban 1982 de Oualid Mouaness. Dans Memory Box, Khalil Joreige et Joana Hadjithomas s’inspirent de la correspondance intime que cette dernière a échangée avec une amie partie à Paris en pleine adolescence. Le jour où Maïa (Rim Turki, magnifique) reçoit à Montréal une caisse remplie de souvenirs d’enfance que sa propre mère la somme de ne pas ouvrir, sa fille Alex (Paloma Vauthier, délicieuse) découvre ce qu’a vécu à son âge celle qui demeure pour elle une inconnue, faute d’accepter d’évoquer sa jeunesse (qu’incarne Manal Issa, toute en finesse). Ce jeu de la vérité qui se dispute entre trois générations va déclencher un véritable déluge émotionnel sur fond de résilience. Memory Box est un film d’une grande justesse qui s’appuie sur des non-dits étouffants et ce déchirement tragique qui caractérise les exilés coupés de leurs racines. Le couple de réalisateurs s’y livre à l’exercice difficile qui consiste à assumer les douleurs du passé pour pouvoir faire face aux promesses de l’avenir, y compris par procuration. Une mise en abyme qui s’étale ici sur trois générations écrasées par un silence assourdissant.
Michelle Bado, Reina Jabbour, Rea Gemayel et Manal Issa
Comme l’indique son titre, ce beau film nous invite à une plongée dans ces silences et ces non-dits assassins qui en viennent à ronger les générations successives et à les empêcher d’assumer leur identité, faute de connaître vraiment leurs origines. Ici Alex traverse la crise de l’adolescence sans les repères que pourraient lui fournir sa mère et sa grand-mère entre lesquelles plane par ailleurs un ressentiment de longue date. Ce n’est qu’en parvenant à démêler cet entrelacs de désillusions et de malentendus que ce gynécée moderne va retrouver la paix et l’harmonie, même si c’est au prix d’un pélerinage orchestré comme un devoir de mémoire où le retour au paradis perdu va agir comme un véritable exorcisme. Avec en guise de madeleine de Proust ces tubes des années 80 qui actionnent une authentique machine à remonter le temps et ce travail remarquable sur l’image, à la fois moderne et ludique qui est l’apanage de ces réalisateurs connus par ailleurs pour leurs installations, leurs performances multimédia et leur goût pour les hybridations visuelles et artistiques dont témoignent certaines séquences de ce film qui réussit à bouleverser sans tricher.
Jean-Philippe Guerand
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