Film américain de Guillermo del Toro (2025), avec Oscar Isaac, Jacob Elordi, Mia Goth, Christoph Waltz, Felix Kammerer, Lars Mikkelsen, David Bradley, Christian Convery, Sofia Galasso, Charles Dance, Burn Gorman, Ralph Ineson, Nikolaj Lie Kaas, Kyle Gatehouse, Lauren Collins, Joachim Fjelstrup, Peter Millard, Peter MacNeill… 2h30. Mise en ligne sur Netflix le 7 novembre 2025.
Oscar Isaac
Cinéaste visionnaire dans une époque qui n’ose l’assumer que beaucoup trop rarement, le Mexicain Guillermo del Toro aime se frotter aux mythes. Après Hellboy et Pinocchio, il s’attaque cette fois à un personnage comme il les affectionne : la créature de Frankenstein qu’Universal a accueillie parmi son bestiaire de monstres au début des années 1930 et que le cinéma a ressuscitée depuis à de multiples reprises. La particularité de cette nouvelle version est de remonter aux sources, c’est-à-dire au roman publié par Mary Shelley en 1818 dont il illustre d’ailleurs le sous-titre, “Le Prométhée enchaîné”. À ce détail près que le film débute en… 1857 par souci de cohérence scientifique. Un navire danois échoue sur la banquise du Pôle Nord où il recueille un homme à l’agonie et se trouve en butte aux assauts d’un ennemi indéterminé. La suite est un retour en arrière qui adopte les points de vue successifs du baron Victor Frankenstein, puis de sa créature, comme les deux versants d’une même pièce qui se répondent et se complètent. Le réalisateur qui aime à qualifier sa fascination d’anthropologique trouve dans ce sujet matière à développer ses thèmes de prédilection en insistant à la fois sur la souffrance existentielle de la créature et le sentiment de culpabilité de son géniteur. Un propos qui passe par la confrontation de deux acteurs habités par leurs rôles : Oscar Isaac, qui passe du statut de fils mal-aimé à celui de frère protecteur puis de père virtuel, et l’Australien Jacob Elordi en qui l’on reconnaîtra sous les cicatrices l’interprète d’Elvis Presley dans Priscilla de Sofia Coppola. Guillermo del Toro soigne d’ailleurs particulièrement son casting qui associe des interprètes aussi talentueux que Christoph Waltz, Lars Mikkelsen, Felix Kammerer et Charles Dance, chacun à sa juste place.
Frankenstein illustre magistralement le soin qu’accorde le cinéaste aux multiples composantes artistiques de son cinéma, à partir d’un projet qu’il a porté pendant près de deux décennies, en affirmant sa détermination à demeurer fidèle au texte d’origine, contrairement à la plupart de ses prédécesseurs. Il envisage ainsi chaque séquence comme un pur moment d’anthologie et manifeste une fois de plus son sens du perfectionnisme qui l’incite à garder constamment à portée de main un carnet de croquis où il consigne sans relâche ses inventions visuelles. Des décors de Tamara Deverell (citée à l’Oscar pour Nightmare Alley) aux costumes de Kate Hawley (Crimson Peak) transcendés par la photo du chef opérateur danois Dan Laustsen avec qui il collabore pour la cinquième fois depuis Mimic (1997) et la musique d’Alexandre Desplat qui lui est fidèle depuis La forme de l’eau (2017). Une synergie artistique exemplaire qui constitue l’un des atouts majeurs de ce film aux audaces assumées sur le registre du gothique flamboyant, tout en décalant à dessein certains archétypes, à l’instar de la fausse ingénue campée par Mia Goth, l’héroïne de la trilogie horrifique X de Ti West propulsée fiancée virtuelle d’une créature en proie à une libido immaîtrisée. C’est grâce à ces partis pris assumés et à sa connaissance en profondeur du texte d’origine que Guillermo del Toro nous propose cette relecture habile et spectaculaire d’un mythe comme il les a toujours affectionnés où le monstre est une fois de plus un être en souffrance sacrifié au désir de puissance exacerbé de son “père” de laboratoire. Et ce n’est évidemment pas un hasard si cet être couturé émerge symboliquement du néant… en croix.
Jean-Philippe Guerand




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