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“Priscilla” de Sofia Coppola



Film américano-italien de Sofia Coppola (2023), avec Cailee Spaeny, Jacob Elordi, Dagmara Dominczyk, Tim Post, Lynne Griffin, Dan Beirne, Rodrigo Fernandez-Stoll, Dan Abramovici, Tim Dowler-Coltman, Austin Ball, Olivia Barrett, Stephanie Moore, Luke Humphrey… 1h53. Sortie le 3 janvier 2024.



Cailee Spaeny



Icône du rock’n’roll sujette à tous les fantasmes, Elvis Presley a souvent été évoqué au cinéma où il a par ailleurs tenu lui-même une trentaine de rôles dans des comédies musicales pour la plupart insignifiantes. Au point que le phénomène en est arrivé à éclipser cet homme mort à 42 ans qui a par ailleurs vécu une sorte de conte de fées sur le plan sentimental. C’est à cette idylle qu’a choisi de s’attacher Sofia Coppola en s’inspirant des mémoires de la femme de sa vie, Priscilla Beaulieu, que le chanteur déjà célèbre a rencontrée pendant qu’il remplissait ses obligations militaires en Allemagne en 1959, alors que cette fille de pilote élevée par son beau-père officier n’était encore que collégienne. En adoptant le point de vue de cette adolescente américaine issue d’un milieu traditionnel et façonnée pour devenir une parfaite femme au foyer, la réalisatrice de Lost in Translation aborde une fois de plus l’un de ses sujets de prédilection : la condition féminine, cette fois dans le contexte de l’American Way of Life. Un parti pris assumé qui passe par un changement d’angle et de focale à ce point radicaux qu’ils évitent la facilité consistant à s’appuyer sur la musique de Presley et à nourrir le culte, à l’instar du récent Elvis de Baz Luhrmann ou du trop méconnu oublié Roman d’Elvis (1979) réalisé pour le petit écran par John Carpenter dans lesquels Priscilla apparaissait sous les traits respectifs d’Olivia de Jonge et de Season Hubley. 



Jacob Elordi et Cailee Spaeny



Le tableau de mœurs que brosse Sofia Coppola en adoptant le regard opposé cultive une certaine mélancolie savamment distillée qui reflète l’état d’esprit de cette teenager condamnée par les déménagements incessants de sa famille à ne jamais s’attacher à quiconque. C’est cette soumission sociale qui intéresse la réalisatrice et l’incite à ne jamais héroïser Priscilla, parti pris qui rend particulièrement remarquable la performance de son interprète jusqu’alors inconnue, Cailee Spaeny, couronnée de la Coupe Volpi de la meilleure actrice à la Mostra de Venise. Le film permet de comprendre ce que la célébrité de son amoureux a contraint à endurer cette femme assignée à tenir un rôle de second plan, dans l’ombre d’un sex-symbol qui a cristallisé le désir de ses fans comme sans doute aucun autre de ses contemporains. Une épreuve d’humilité que cette femme timide et réservée a assumée sans jamais chercher à trouver sa place sur la photo. Sa confession dont s’inspire le film est un témoignage passionnant sur les coulisses de la gloire qui prend un pari audacieux : éviter de montrer Elvis dans son habit de lumière. Parti pris radical qui s’accompagne de la substitution de son répertoire de tubes par une bande originale que la réalisatrice a confiée au groupe pop rock français Phoenix dont le chanteur est le père de ses enfants. Comme pour accorder la primauté à l’époque plutôt qu’à la star à travers le destin de ces conjoints invisibilisés par les vedettes dont ils ont partagé la vie. Le constat est implacable et ce portrait d’une sacrifiée extrêmement touchant.

Jean-Philippe Guerand





Cailee Spaeny

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