Film franco-belge de Julia Ducournau (2025), avec Mélissa Boros, Tahar Rahim, Golshifteh Farahani, Emma Mackey, Finnegan Oldfield, Louai El Amrousy, Jean-Charles Clichet, Christophe Perez, Ambrine Trigo Ouaked, Fabien Giameluca, Rose Harlean, Julien Spitéri… 2h08. Sortie le 20 août 2025.
Golshifteh Farahani et Mélissa Boros
Certaines récompenses impliquent des responsabilités parfois vertigineuses qui en ont tétanisé plus d’un. Première Française et deuxième femme couronnée de la Palme d’or, pour son incursion dans le body horror avec Titane en 2021, Julia Ducournau est aujourd’hui confrontée à l’épreuve du troisième film. Alors que son renom international lui garantit une large diffusion, le secret qui a entouré Alpha, y compris à travers une bande-annonce qui ne montre rien de l’essentiel, en l’occurrence de ses qualités, et l’accueil pour le moins mitigé qu’il a reçu sur la Croisette, laisse planer une incertitude considérable quant à son avenir commercial. Ce n’est pourtant pas l’ambition qui fait défaut à cette chronique de la fin du monde dans laquelle une petite fille observe le monde qui s’écroule autour d’elle et de son infirmière de maman, tandis que son père se bat contre les atteintes d’une maladie épidémique mystérieuse qui réduit les humains à l’état de statues de pierre jusqu’à les étouffer dans une sorte de sarcophage minéral qui les emprisonne pour les transformer en statue de pierre, comme la femme de Loth fut condamnée à être figée dans le sel pour s’être retournée. Le scénario peut être interprété comme une parabole autour du sida qui a causé tant de victimes dans les années 80, mais aussi toutes ces pandémies qui ont décimé l’humanité à travers les siècles, qu’il s’agisse de la peste, du choléra, de la grippe espagnole ou du Covid-19. Des fléaux récurrents dont les causes sont le plus souvent demeurées inexpliquées et ont parfois été interprétées par certains croyants comme un effet de la colère de Dieu.
Tahar Rahim (à droite)
Alpha est au fond moins convaincant en tant que film que grâce à quelques séquences d’anthologie et à une véritable inspiration visionnaire. Julia Ducournau va au bout de son propos et en a eu les moyens, sur la foi de sa Palme d’or. Elle les met au service de la chronique d’une famille déchirée dont les trois membres remplissent une fonction préétablie. Le père qu’incarne un Tahar Rahim est un être décharné que son amaigrissement spectaculaire rend quasiment méconnaissable. La mère qu’incarne la comédienne Golshifteh Farahani, laquelle accède enfin à des rôles majeurs dans sa patrie d’adoption dont elle maîtrise désormais parfaitement la langue, œuvre comme infirmière dans un établissement de soins palliatifs où séjournent des patients qu’elle tente de soulager de leurs souffrances en tentant de ralentir la progression de cette prison de pierre qui les condamne à plus ou moins brève échéance. La fille, Alpha, occupe une fonction d’observatrice et de témoin, sans être assurée pour autant d’incarner l’avenir de cette humanité en proie à ce mal étrange. C’est à travers son regard qu’est racontée cette tragédie. Malgré ses nombreux défauts, le troisième long métrage de Julia Ducournau s’inscrit dans la lignée des deux précédents, sur le registre d’une science-fiction alternative aux productions anglo-saxonnes du genre, avec une véritable portée prophétique à l’appui. Il convient ici de louer la qualité de la composante technologique qui assure une indéniable valeur ajoutée à l’évolution de cette maladie qui dissout les corps, les fige puis les emprisonne, jusqu’au moment ultime où les yeux cessent de bouger comme une ultime étincelle de vie qui s’éteindrait. Alpha fait partie de ces ratages partiels qui valent bien mieux que tant de réussites dénuées d’ambition.
Jean-Philippe Guerand
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