Film franco-belge de Julia Ducournau (2021), avec Agathe Rousselle, Vincent Lindon, Garance Marillier, Myriem Akheddiou, Dominique Frot, Laïs Salameh, Anaïs Fabre… 1h48. Sortie le 14 juillet 2021.
Voici sans doute le deuxième film le plus attendu du moment. Le précédent, Grave, a valu en 2016 à Julia Ducournau d’être saluée comme une révélation et d’accumuler les sélections dans les festivals les plus prestigieux, même si ce phénomène loué par les amateurs de cinéma bis n’a pas remporté de récompense majeure et n’a concrétisé aucune de ses nominations aux César. Un film de genre réalisé par une femme avait cependant tout pour cocher des cases réputées inconciliables dans la tradition d’un cinéma français où l’ivresse de la logorrhée se substitue le plus souvent à l’ambition formelle. C’est dire la pression écrasante qui reposait sur ses épaules. Titane creuse ce sillon dans une veine encore plus radicale et lorgne vers le David Cronenberg de Crash par son association morbide de chair, de sang et de métal hurlant, sans convoquer réellement de références identifiées. La cinéaste maîtrise de façon impressionnante son propre langage, mais ne se laisse jamais absorber par ses maîtres, même si l’on suppute que le David Lynch d’Eraserhead, le John Carpenter de Christine ou le Roman Polanski de Rosemary’s Baby l’ont marquée sans qu’elle ait besoin pour autant de les convoquer.
Blessée à la tête dans un accident de la route, une enfant devenue femme en conserve de graves séquelles psychologiques qui se traduisent par de subits accès d’une violence incontrôlée, une identité sexuelle brouillée et un besoin d’amour inassouvi. Jusqu’au moment où elle se laisse adopter par un pompier qui cherche son fils porté disparu depuis des années et où ces deux êtres à la dérive vont voir l’un dans l’autre l’espoir d’une rédemption en recomposant un improbable noyau familial. Julia Ducournau ne cherche jamais à nous faire aimer ces personnages hors sol campés comme sous hypnose par Agathe Rousselle et Vincent Lindon, se garde bien de les juger, pas plus qu’elle ne les plaint. Mais il y a dans leur détresse comme une flamme qui vacille et nous brûle au plus profond de nous. Titane est un film sans attaches dont la réalisatrice est en train d'aménager à elle seule une nouvelle voie au cœur d’un cinéma français dont elle a d’autant moins besoin de faire du passé table rase qu’elle investit en quelque sorte un terrain en friche qui n’est ni celui de Gaspar Noé, ni celui d’Alexandre Aja, les références les plus évidentes en la matière, mais sur lequel elle semble en mesure d’édifier son propre royaume. Sa Palme d'or l'y aidera.
Jean-Philippe Guerand
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