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“Jeunesse (retour au pays)” de Wang Bing



Qingchun : Gui Documentaire luxembourgo-franco-néerlandais de Wang Bing (2024) 2h32. Sortie le 9 juillet 2025.





Nettement plus concis que les précédents, le dernier pan de la trilogie documentaire Jeunesse s’attache au Retour au pays des ouvriers des ateliers de confection de Zhili qui rapportent le fruit de leur labeur à leur famille qu’ils contribuent largement à entretenir. On réalise à cette occasion l’inanité de ce système économique qui impose à des jeunes gens le poids de responsabilités considérables, obstacle rédhibitoire aux velléités qu’ils pourraient avoir de progresser dans l’échelle sociale ou de pratiquer un métier de leur choix. Pas question ici d’individualisme ni même de libre-arbitre. Ces petites mains de l’industrie textile surveillées par des contremaîtres guère mieux traités, pour le compte de patrons eux-mêmes aux abois, sont ni plus ni moins des esclaves de notre temps. On s’en rend compte en les surprenant au quotidien se comportant comme des gamins et obéissant sans rechigner. Tout l’intérêt de ce troisième opus repose sur la mue qui s’opère lorsqu’ils reviennent dans leur fief où le temps semble s’être arrêté et où les familles vivent dans des conditions spartiates, totalement coupées de la marche du progrès. Les festivités traditionnelles du nouvel an et un mariage champêtre dans la montagne ponctués de pétards sont l’occasion de se retrouver, mais aussi de se resourcer et même parfois de se marier, les conjoints étant priés de suivre ensuite leur partenaire à Zhili où les ateliers verront ainsi leurs effectifs se renouveler et s’étoffer au terme d’un processus implacable.





Wang Bing boucle ici une tragédie en trois actes qui décortique un univers macro-économique impitoyable dont les ouvriers sont en quelque sorte les otages consentants. “ Travaille et tais-toi ! ”, semble être le leitmotiv de cette fresque qui réussit la prouesse de montrer l’envers du décor sans commentaire ni interviews. Le parti pris du réalisateur consiste à démultiplier les équipes, à filmer sans relâche sur un temps long dans de multiples ateliers, puis de déterminer au montage des lignes de force qui esquissent un portrait de groupe saisissant en dégageant quelques individualités significatives. Avec aussi cette constante essentielle qui contraint des jeunes ruraux à alimenter en permanence un système hérité du maoïsme, le hukou, qui permet au pouvoir central de répartir arbitrairement la main d’œuvre (estimée entre 280 et 290 millions de personnes à l’époque du tournage, entre 2014 et 2019), en fonction des besoins économiques, en l’occurrence en affectant des travailleurs à bas coût parfois loin de leur région d’origine. Le principal enseignement de ce dernier volet réside dans l’image qu’il donne d’une campagne arriérée où l’avenir de la jeunesse est conditionné par des impératifs économiques arbitraires qui nient l’individu en tant que tel, au point de l’asservir sans qu’il manifeste la moindre velléité de rébellion. La vision de ce documentaire devrait tout au moins nous inciter à considérer avec plus de vigilance les vêtements “made in China” qu’on nous vend. On sait désormais dans quelles conditions ils sont fabriqués.

Jean-Philippe Guerand






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