Film français de Tony Gatlif (2025), avec Arthur H., Suzanne Aubert, Mathieu Amalric, Maria de Medeiros, Christine Citti… 1h37. Sortie le 25 juin 2025.
Arthur H. et Suzanne Aubert
En plus de quarante ans de cinéma et une vingtaine de longs métrages, Tony Gatlif a réussi à creuser un sillon à nul autre pareil que reflète son tableau de chasse aux César : deux trophées… de la meilleure musique pour Gadjo dilo en 1999 et Vengo en 2001, ainsi que des nominations dans cette même catégorie pour Exils en 2005 et Liberté en 2011, partagées cette fois avec sa complice Delphine Manthoulet à laquelle il est demeuré fidèle jusqu’à aujourd’hui. Il faut dire que la contribution du cinéaste dans ce domaine est unique car elle s’inscrit à l’écart de la tendance lourde du cinéma français dont Jacques Demy continue à aimanter toutes les tentatives dans ce domaine, sans avoir jamais engendré d’héritiers pérennes mais plutôt des feux follets, de Jeanne et le garçon formidable d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau à Partir un jour d’Amélie Bonnin (en fait plus proche du Resnais d’On connaît la chanson), en passant par Les chansons d’amour de Christophe Honoré. Gatlif, quant à lui, conçoit systématiquement la musique de ses films comme constitutive de leur dramaturgie, sans jamais la limiter à une fonction illustrative. Elle est le cœur battant de son œuvre et bien souvent sa raison d’être dans une quête mémorielle sans fin. Ce réalisateur est en cela un adepte du syncrétisme dont les images s’impriment peu à peu au fil de l’intrigue par leur contextualisation sonore toujours recherchée. Il a ainsi exploré au fil de ses films des univers dont il s’est attelé à sauvegarder la tradition et à perpétuer la trace sonore, notamment à travers les multiples ramifications de la culture gitane et du jazz manouche qu’il a revisitées avec le concours de la nouvelle génération, en se positionnant comme un passeur et un héritier prodigue.
Maria de Medeiros et Arthur H.
Ange nous entraîne en compagnie d’un globe-trotter qui a consacré sa vie à rassembler des éléments épars du patrimoine tzigane de l’humanité et accomplit un ultime tour de piste en retrouvant ses amis souvent perdus de vue depuis des lustres. Un pèlerinage sentimental où le moindre bruit devient un son et appelle nécessairement une musique. Gatlif poursuit là son œuvre en soulignant à quel point l’harmonie est essentielle. Il réussit la prouesse de composer une sorte de symphonie à partir d’éléments disparates qui se conjuguent en créant quelques moments miraculeux où une averse banale imprime son tempo à un voyage en minibus ponctué de morceaux d’anthologie qui sécrètent eux-mêmes leurs propres correspondances visuelles, sonores et musicales. Avec Arthur H, trop rare au cinéma, malgré sa forte personnalité associée à un timbre de voix rauque qui évoque de plus en plus Leonard Cohen, en grand ordonnateur de ce moment suspendu d’une rare puissance poétique. Un Ange passe et il nous invite à ouvrir les yeux sur une beauté à laquelle on ne prêterait sans doute pas la moindre attention si le metteur en scène ne cherchait en permanence à la sublimer en regardant et surtout en écoutant la vie attentivement. Suivez le guide : il s’appelle Tony Gatlif et croit en la beauté du monde au point de la rendre visible jusqu’à l’évidence.
Jean-Philippe Guerand
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