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“Partir un jour” d’Amélie Bonnin



Film français d’Amélie Bonnin (2025), avec Juliette Armanet, Bastien Bouillon, François Rollin, Tewfik Jallab, Dominique Blanc… 1h38. Sortie le 13 mai 2025.



Bastien Bouillon et Juliette Armanet



Un film peut en cacher un autre. En l’occurrence, le premier long métrage d’Amélie Bonnin est le prolongement de son dernier court, ce qui arrive de plus en plus souvent. Il convient toutefois ici de nuancer. Dans sa version brève, couronnée de nombreux prix dont le César 2023 du meilleur film de court métrage de fiction, le personnage principal était un jeune provincial incarné par Bastien Bouillon. Dans Partir un jour cru 2025, dont le titre est celui d’un tube des 2Be3 datant de 1997 auquel la voix de Juliette Armanet attribue un lyrisme inattendu, le point de vue est celui du personnage féminin, en l’occurrence une Parisienne d’adoption campée par la chanteuse, sur le point d’ouvrir un restaurant gastronomique avec son compagnon, quand elle retourne inopinément dans sa campagne et retrouve sa famille telle qu’elle l’avait quittée, régnant sur le routier convivial tenu par un père despotique et une mère faussement soumise. L’occasion pour elle de renouer avec un ancien flirt qui continue à zoner avec ses copains de toujours, mais ne s’est jamais vraiment remis de leur rupture. Un bain de jouvence doux amer sous-tendu par une question abyssale : peut-on être et avoir été, autrement dit changer de vie en faisant table rase du passé. Amélie Bonnin refuse de trancher. Elle préfère montrer que tout choix implique par principe des renoncements. Au-delà de ce retour aux sources qui confronte son héroïne à une décision à laquelle elle s’est tenue, mais qui a engendré parmi ses proches des conséquences qu’elle n’a pas mesurées, le film use d’un artifice qui s’inscrit dans une tradition déjà ancienne. Son intrigue est en effet entrecoupée çà et là d’intermèdes musicaux et chantés qui font partie intégrante de l’action et se réclament de deux sources distinctes : Jacques Demy, décidément incontournable dans ce domaine, et Alain Resnais, dans la veine d’On connaît la chanson (1997) et de son intrigue saupoudrée de tubes. À cette nuance près que ce sont les personnages du film qui entonnent ici ces airs populaires et s’approprient leur propos et non leurs interprètes originels.



Dominique Blanc et Juliette Armanet



Présenté en ouverture du Festival de Cannes hors compétition, Partir un jour est une double invitation à la nostalgie et à la fantaisie. Une sorte de bain de jouvence à l’usage des indécis qui démontre qu’aucun choix ne peut être le bon, dans la mesure où il implique par principe des renoncements. Une réflexion à laquelle Amélie Bonnin se livre avec autant de tendresse que de délicatesse. François Rollin et Dominique Blanc incarnent des parents terribles qui se connaissent si bien qu’ils n’ont plus besoin de grands mots pour se comprendre. Quant au regard que porte sur eux la fille prodigue campée par Juliette Armanet, c’est celui de tous les enfants déchirés entre la nostalgie enjolivée du paradis perdu de leur jeunesse et un retour aux sources où l’agacement se mêle aux regrets, face au vieillissement de ceux qu’on aime et à leur refus viscéral du changement. Un retour aux sources qui confronte le destin de son héroïne à la vie alternative qui aurait pu être la sienne si elle avait décidé de rester dans sa province immobile au lieu de mettre le cap vers la capitale bourdonnante et qui prend soudain un autre sens à un moment déterminant de son existence où son meilleur ami se retrouve en concurrence malgré lui avec le compagnon qu’elle a choisi et où sa réussite professionnelle coïncide avec le déclin de son père. Comme si le passé et le présent pesaient soudain autant au mitan d’une vie bien remplie. La particularité du film d’Amélie Bonnin est de s’achever par des points de suspension, là où le cinéma exige généralement un dénouement en forme de choix, en l’occurrence ici vital. Il est parfois jubilatoire pour le spectateur de retrouver la maîtrise de son libre-arbitre et d’échapper au diktat inéluctable de la fiction. Le film d’ouverture du Festival de Cannes est donc en ce sens un joli cadeau dont le message apparaît universel.

Jean-Philippe Guerand







Bastien Bouillon

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