Film français de Cheyenne-Marie Carron (2025), avec Johnny Amaro, Leslie Tompson, Cécilia Assoun, Alexandre Triaca, Éric Denize, Léopold Bellanger, Agnès Godey, Lou Amara, Séverine Warneys, David Decraene… 1h33. Sortie le 16 avril 2025.
Cécilia Assoun et Johnny Amaro
Film après film, Cheyenne-Marie Carron a bâti une œuvre à part et élaboré son propre système économique dont elle maîtrise toutes les étapes, de l’écriture au montage et désormais aussi de la production à la distribution. Un univers autarcique qui prouve qu’une autre façon de faire du cinéma est possible, qui plus est au rythme d’un film par an et sur des thématiques qu’on pourrait croire surannées, notamment l’armée et l’église, avec les servitudes qui vont de pair. L’an dernier, elle a collé pour la première fois à une actualité récente en signant avec Que notre joie demeure une évocation très juste de l’assassinat du père Hamel par deux terroristes islamistes. L’agneau, son seizième long métrage en vingt ans, traite un autre sujet ô combien sensible : celui des hommes d’église coupables d’agressions sexuelles. Sinon que, contrairement à François Ozon dans Grâce à Dieu (2018), la réalisatrice s’attache à un prêtre injustement accusé qui va tout mettre en œuvre pour défendre son honneur bafoué par une paroissienne calomniatrice. À travers ce cas extrême, qu’on pourra considérer comme une exception dans son œuvre traversée de questionnements moraux, elle entend montrer le danger que représente la tentation du panurgisme dans une société prête à tout, y compris à sacrifier le droit de se défendre, sous couvert de dénoncer unilatéralement des pratiques largement répandues. Une posture extrêmement périlleuse qui lui permet d’œuvrer dans la nuance au sein d’un domaine où règne aujourd’hui un manichéisme propice aux potentielles erreurs judiciaires en cascade que l’opinion publique ne semble plus disposée à combattre.
Léopold Bellanger et Johnny Amaro
Au “tous pourris”, Cheyenne-Marie Carron préfère la nuance et en tire un parti cinématographique fondé sur l’exigence où le doute profite pour une fois à l’accusé, malgré un contexte peu propice à ce genre de questionnements. Elle met ainsi en scène, avec une économie de moyens anachronique qui accorde une place essentielle au dialogue (à tous les sens du terme), un personnage de prêtre intègre (l’impressionnant Johnny Amaro) confronté à des accusations d’agression sexuelle par une jeune fille de “bonne famille” à laquelle il était chargé d’enseigner le catéchisme. Un crime qu’il sait ne pas avoir commis, mais qui va l’entraîner dans une spirale infernale où, à ses yeux, l’attaque ne saurait constituer une défense honorable. Simultanément, il va se trouver confronté à une autre jeune femme qui le prend pour confident alors qu’elle traverse une crise terrible et n’a pour tout recours que son immense solitude. La réalisatrice est parvenue aujourd’hui à une pleine maîtrise de son art qui l’incite à se concentrer sur ses fondamentaux : la direction d’acteurs, en l’occurrence des interprètes peu ou pas connus, et la primauté accordée à la psychologie de ses personnages qui passe par les mots, mais sans le moindre verbiage inutile, le tout circonscrit dans quelques décors dont la fameuse église Saint-Roch de Paris qui accueille en priorité des artistes et qu’elle filme comme s’il s’agissait de la paroisse d’une ville de province parmi d’autres. L’agneau est un film fort et bouleversant sur la puissance du doute dans un contexte troublé de confusion des valeurs et de désordre moral au sein de l’église, mais plus encore de la société dans son ensemble. Une réflexion nécessaire mais jamais doctrinaire qui met aussi en cause cette grande bourgeoisie catholique traditionnaliste en proie à des pratiques contre nature que dénonçait il y a peu Cassandre d’Hélène Merlin. Film après film, le voile se déchire et les masques tombent.
Jean-Philippe Guerand
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