Film franco-belgo-hongro-israélo-portugais d’Emmanuel Finkiel (2024), avec Mélanie Thierry, Artem Kyryk, Julia Goldberg, Yona Rozenkier, Minou Monfared, Anastasia Fein, Dima Savyan, Nikola Tutek, Olena Khokhlatkina, Olga Radchuk, Iryna Lysogurska, Philipp Ruckriegel, Valerii Bartkovska, Dariia Chebanenko, Jacob Hagemeyer, Laura Bóta, Anna Cherkunova, Gábor Váradi… 2h11. Sortie le 23 avril 2025.
Mélanie Thierry et Artem Kyryk
Ukraine, 1943. Mariana se voit confier par une amie d’enfance promise à la déportation son fils unique qu’elle va cacher dans un placard de sa chambre. Au fil du temps, le gamin réfugié dans cette maison close grandit au rythme des rencontres de sa protectrice et fait l’apprentissage de la vie. Cette histoire, l’écrivain israélien Aharon Appelfeld l’a relatée dans un livre qu’un producteur a proposé au réalisateur de Voyages (1999) et La douleur (2017) qui aborde la Shoah sur le mode du roman d’apprentissage, avec celle qui est devenue sa muse en l’espace de trois films : Mélanie Thierry. Ce rôle, elle y tenait tant qu’elle a appris pour l’interpréter la langue ukrainienne afin d’éviter qu’il ne lui échappe au profit d’une actrice originaire de ce pays. À l’écran, sa composition s’avère d’un naturel déconcertant face au partenaire le plus redoutable qui soit : un préadolescent. Au-delà de son contexte historique et de son cadre en huis clos, La chambre de Mariana traite avant tout de l’éveil de l’amour en réussissant la prouesse de ne jamais verser dans la complaisance, le sordide ou le voyeurisme. La difficulté consistait pour le réalisateur à trouver la juste distance entre ses deux protagonistes, trois même, puisque l’enfant devenant adolescent est campé par deux interprètes distincts. Il la résout par ses choix de mise en scène en faisant du garçon celui qui regarde et de la jeune femme celle qui agit, sa maturité correspondant symboliquement au moment où il passe à son tour à l’acte. L’erreur la plus grave consiste à appliquer à ce film d’apprentissage une grille de lecture anachronique : celle de #MeToo qui n’a vraiment aucun lieu d’être dans un monde en proie à la barbarie où la survie constituait le plus acharné des combats.
Mélanie Thierry et Artem Kyryk
Ni ambiguïté ni grivoiserie dans ce film bourré de tact qui invente son propre paysage intérieur et joue sur la puissance du regard, qu’il s’agisse de ces interstices à travers lesquels les pensionnaires de la maison close observent les fragments d’un monde qu’on jurerait sortis d’un dessin de Marc Chagall ou du trou de serrure qui permet au gamin de veiller sur sa protectrice comme un fils d’abord, comme un souteneur ensuite, tandis que son regard évolue au fil des mois et des premiers émois de la puberté. Emmanuel Finkiel règle ce pas de deux avec une délicatesse infinie en transcendant le minimalisme de son décor par la force des sentiments qui s’y déploient. Avec cette valeur ajoutée que représente Mélanie Thierry dans une langue qui n’est pas la sienne mais qu’elle incarne sans doute avec davantage d’ardeur et de conviction qu’aucune actrice ukrainienne aurait pu le faire, tant elle a réussi à transformer cet obstacle en un défi individuel cohérent avec la forte personnalité qu’elle incarne. Sa prouesse est rien moins que prodigieuse et compte d’ores et déjà parmi les plus grands défis d’une carrière qui en est jalonnée. Qui plus est face à l’un des partenaires les plus redoutables qui soient : un enfant. Boudé par les trois principaux festivals internationaux (Cannes, Venise et Berlin), La chambre de Mariana mérite aujourd’hui d’être plébiscité par le public le plus vaste qui soit, pour ce qu’il raconte, mais aussi pour la rigueur de la grammaire cinématographique qu’il emploie à cet effet, sans jamais adopter une posture de voyeur.
Jean-Philippe Guerand
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