Accéder au contenu principal

“The Order” de Justin Kurzel



Film américain de Justin Kurzel (2024), avec Jude Law, Nicholas Hoult, Tye Sheridan, Alison Oliver, Jurnee Smollett, Marc Maron, Odessa Young, George Tchortov, Bradley Stryker, Sebastian Pigott, Morgan Holmstrom, Victor Slezak, Chantal Perron, Philip Granger, Daniel Doheny, Phillip Lewitski, Ryan Chandoul Wesley… 1h56. Mise en ligne sur Prime Video le 6 février 2025.



Nicholas Hoult



Présenté en compétition à la dernière Mostra de Venise, le nouveau film du réalisateur australien Justin Kurzel s’inspire de faits authentiques relatés dans un livre intituléThe Silent Brotherhood” publié en 1989 dans lequel Kevin Flynn et Gary Gerhardt relataient les agissements d’un groupuscule  suprémaciste blanc identifié par un agent du FBI pour avoir multiplié les hold-ups crapuleux et les attaques à main armée au fin fond de l’Idaho, avec l’objectif secret de monter une véritable milice afin de déstabiliser le pouvoir en place en déclenchant une nouvelle guerre civile visant les institutions en place. Une sorte de complot contre la démocratie américaine dont la stratégie se trouve consignée dans “Les carnets de Turner” qui en expose les modalités avec une précision diabolique. Ce roman d’anticipation écrit par William Pierce publié en 1978 sous le pseudonyme d’Andrew Macdonald devient pour ces activistes un véritable credo à l’usage des apprentis-terroristes et révolutionnaires qui inspirera par la suite des attentats d’extrême-droite dont celui perpétré à Kansas City, après avoir commencé à les financer grâce à ses droits d’auteur. C’est dire combien ce thriller est atypique par sa dimension politique et se rapproche en cela du propos du film de Costa-Gavras La main droite du diable (1988). Comme si seuls des cinéastes étrangers avaient l’audace de dénoncer les tentations et les dérives extrémistes d’une Amérique profonde qui se sent dépossédée d’elle-même.



Tye Sheridan



The Order décrit un pays en proie à ses plus bas instincts où les complotistes en lutte contre le système se transforment en bandits de grand chemin et en vulgaires malfrats à la gâchette facile pour financer une véritable armée du crime au service d’une idéologie basique et nauséabonde qui renvoie aux pires relents racistes, xénophobes et antisémites. Un affrontement symbolique entre l’acteur britannique Jude Law dans un contre-emploi spectaculaire en immersion clandestine et Nicholas Hoult (le juré n°2 de Clint Eastwood vu récemment dans Nosferatu) en leader charismatique néo-nazi. Le tout dans un cloaque glauque protégé par la liberté de parole qui laisse libre cours à des théories extrémistes et prospère en toute impunité sur un terreau favorable. Le film pointe du doigt le paradoxe de cette démocratie américaine qui s’interdit d’interdire jusqu’au moment où elle se met elle-même en danger. Un discours qui renvoie à la fois aux enjeux jamais vraiment résolus de la guerre de Sécession, à la tentation du populisme le plus réactionnaire, au poids du fondamentalisme religieux et à la situation contemporaine de ce pays fracturé qui a élu à deux reprises à sa tête Donald Trump et frôlé le chaos debout lors de l’attaque du Capitole de janvier 2021. L’habileté de Justin Kurzel consiste à calquer sa mise en scène sur la facture de certains fleurons du Nouvel Hollywood des années 70, en revendiquant sa filiation avec des réalisateurs comme Arthur Penn, Robert Altman, Sydney Lumet ou Sidney Pollack, que ce soit à travers la lumière de son chef opérateur habituel Adam Arkapaw ou le soin apporté à la reconstitution de l’époque par Karen Murphy déjà associée notamment à Elvis. Mais ce film d’action haletant est bien plus qu’un simple exercice de style. Un avertissement peut-être prémonitoire contre l’angélisme.

Jean-Philippe Guerand







Jude Law

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Le paradis des rêves brisés

La confession qui suit est bouleversante… © A Medvedkine Elle est le fait d’une jeune fille de 22 ans, Anna Bosc-Molinaro, qui a travaillé pendant cinq années à différents postes d’accueil à la Cinémathèque Française dont elle était par ailleurs une abonnée assidue. Au-delà de ce lieu mythique de la cinéphilie qui confie certaines tâches à une entreprise de sous-traitance aux méthodes pour le moins discutables, CityOne (http://www.cityone.fr/) -dont une responsable non identifiée s’auto-qualifie fièrement de “petit Mussolini”-, sans nécessairement connaître les dessous répugnants de ses “contrats ponctuels”, cette étudiante éprise de cinéma et idéaliste s’est retrouvée au cœur d’un mauvais film des frères Dardenne, victime de l'horreur économique dans toute sa monstruosité : harcèlement, contrats précaires, horaires variables, intimidation, etc. Ce n’est pas un hasard si sa vidéo est signée Medvedkine, clin d’œil pertinent aux fameux groupes qui signèrent dans la mouva...

Bud Spencer (1929-2016) : Le colosse à la barbe fleurie

Bud Spencer © DR     De Dieu pardonne… Moi pas ! (1967) à Petit papa baston (1994), Bud Spencer a tenu auprès de Terence Hill le rôle de complice qu’Oliver Hardy jouait aux côtés de Stan Laurel. À 75 ans et après plus de cent films, l’ex-champion de natation Carlo Pedersoli, colosse bedonnant et affable, était la surprenante révélation d’ En chantant derrière les paravents  (2003) d’Ermanno Olmi, Palme d’or à Cannes pour L’arbre aux sabots . Une expérience faste pour un tournant inattendu au sein d’une carrière jusqu’alors tournée massivement vers la comédie et l’action d’où émergent des films comme On l’appelle Trinita (1970), Deux super-flics (1977), Pair et impair (1978), Salut l’ami, adieu le trésor (1981) et les aventures télévisées d’ Extralarge (1991-1993). Entrevue avec un phénomène du box-office.   Rencontre « Ermanno Olmi a insisté pour que je garde mon pseudonyme, car il évoque pour lui la puissance, la lutte et la viol...

Jean-Christophe Averty (1928-2017) : Un jazzeur sachant jaser…

Jean-Christophe Averty © DR Né en 1928, Jean-Christophe Averty est élève de l'Institut des Hautes Etudes Cinématographiques (Idhec) avant de partir travailler en tant que banc-titreur pour les Studios Disney de Burbank où il reste deux ans en accumulant une expertise précieuse qu'il saura mettre à profit par la suite. De retour en France, il intègre la RTF en 1952 où il réalisera un demi-millier d'émissions de radio et de télévision dont Les raisins verts (1963-1964) qui assoit sa réputation de frondeur à travers l'image récurrente d'une poupée passé à la moulinette d'un hachoir à viande et pas moins de 1 805 numéros des Cinglés du music-hall (1982-2006) où il exprime sa passion pour la musique, sur France Inter, puis France Culture, lui, l'amateur de jazz à la voix inimitable chez qui les mots semblent se bousculer. Fin lettré et passionné par les images, l’iconoclaste Averty compte parmi les pionniers de la vidéo et se caract...