Film américain de Robert Eggers (2024), avec Lily-Rose Depp, Bill Skarsgård, Willem Dafoe, Nicholas Hoult, Emma Corrin, Aaron Taylor-Johnson, Simon McBurney, Ralph Ineson… 2h13. Sortie le 25 décembre 2024.
Lily-Rose Depp
Connu sous de multiples identités dont la plus célèbre est incontestablement Dracula qui a engendré d’innombrables versions cinématographiques, Nosferatu, en fait nommé Orlock, n’a quant à lui inspiré en tant que tel que deux cinéastes allemands, également sous le signe du classique littéraire de Bram Stoker, non crédité officiellement : Friedrich Wilhelm Murnau qui en a tiré un chef d’œuvre de l’expressionnisme avec Nosferatu le vampire (1922) et Werner Herzog qui s’est cantonné quant à lui à en offrir un remake trop appliqué à son acteur fétiche, Klaus Kinski, dans Nosferatu, fantôme de la nuit (1979). Autre variation : L’ombre du vampire (2000) consacré par E. Elias Mehrige où le rôle de l’acteur Max Schreck imaginairement atteint de vampirisme est incarné par Willem Dafoe (devenu entre-temps l’interprète fétiche de Robert Eggers) dans un making of fantaisiste mais plutôt respectueux du classique de Murnau. Dans la troisième version officielle de Nosferatu qu’il projetait depuis ses débuts en 2015, Eggers fait œuvre d’admirateur inconditionnel de ce monument en soignant le moindre détail, tout en respectant à la lettre l’esprit du classique d’il y a un siècle, notamment dans le soin apporté à la photo qui souligne les contrastes et les ombres en appliquant à la couleur des principes généralement associés à l’usage du noir et blanc. Un parti pris d’autant plus étonnant que le réalisateur avait opté pour ce choix esthétique avec The Lighthouse (2019), son deuxième long métrage.
Nicholas Hoult
Partant du principe que cette histoire située entre l’Allemagne et la Transylvanie de 1838 constitue une variation autour du thème éternel de la belle et la bête traitée dans un style gothique flamboyant, Robert Eggers accorde une importance particulière à la créature virginale incarnée par Lily-Rose Depp sur laquelle le vampire venu des Carpates va jeter son dévolu après avoir vampirisé son mari et entrepris de répandre ni plus ni moins qu’une épidémie de peste ô combien symbolique. Comme les deux versions précédentes, ce film scandé par une partition musicale tonitruante de Robin Carolan (déjà associé à Eggers pour The Northman) brasse en outre de multiples thèmes pour s’ériger en véritable parabole d’un monde en voie de décadence. Le vampire y catalyse à lui tout seul de multiples fléaux en contaminant notamment la population civilisée sous l’effet d’une prolifération de rongeurs évidemment chargés d’une forte part de malédiction. On a beaucoup glosé sur la multiplicité des symboles dont Murnau a saupoudré son film dont les surréalistes s’étaient approprié un intertitre devenu légendaire qu’ils répétaient comme un mantra : “ Passé le pont, les fantômes vinrent à sa rencontre. ” Il s’inscrivait toutefois dans une tradition qui rejaillit de bon nombre des œuvres de l’expressionnisme allemand, lui-même contemporain d’une période particulièrement troublée de l’histoire de ce pays sorti exsangue de la Grande Guerre : la République de Weimar confrontée alors à des difficultés économiques terribles. Eggers signe un brillant exercice de style fidèle à son modèle prestigieux mais insurpassable, et s’inscrit dans la plus pure tradition d’un fantastique submergé aujourd’hui sous des flots d’hémoglobine. Un salubre retour aux sources qui s’offre même quelques flamboiements fulgurants sans avoir à rougir de son audace.
Jean-Philippe Guerand
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