Documentaire français de Yannick Kergoat (2024), avec Fabrice Arfi, Michaël Hajdenberg, Patrick Haimzadeh, Danièle Klein, Karl Laske, François Molins, (voix) Florence Loiret Caille… 1h44. Sortie le 8 janvier 2025.
Fabrice Arfi
Jugé depuis le 6 janvier 2025 pour des soupçons de financement de la campagne présidentielle de 2017 par des fonds secrets venus de Libye qui auraient permis au candidat de doubler le montant légal autorisé, Nicolas Sarkozy est aujourd’hui le héros malgré lui d’un film qui s’appuie sur l’enquête menée par la rédaction de “Mediapart” depuis 2011, dont Fabrice Arfi et Karl Laske ont tiré un livre intitulé “Avec les compliments du Guide - Sarkozy-Kadhafi, l’histoire secrète” (Fayard, 2017). Le documentariste Yannick Kergoat y poursuit de son côté une œuvre d’investigation qui ne peut avoir sa place que sur écran et qui s’accompagne le plus souvent de l’organisation de débats, en raison d’une couverture médiatique étouffée hiérarchiquement par les nombreux industriels qui règnent sur la presse et d’une diffusion plus confidentielle que celle réservée aux documentaires traditionnels. Ce monteur de formation, couronné en l’an 2000 d’un César dans cette catégorie pour Harry, un ami qui vous veut du bien de Dominik Moll, en a déjà fait l’expérience avec deux de ses opus précédents : Les nouveaux chiens de garde (2011), coréalisé avec Gilles Balbastre sur le principe actualisé du fameux ouvrage polémique de Paul Nizan, et La (très) grande évasion (2022) qui s’attachait à la forteresse cachée des paradis fiscaux à travers les stratégies orchestrées par leurs utilisateurs avertis. Derrière son titre qui reprend une déclaration tonitruante de Nicolas Sarkozy qualifiant entre autres cette ténébreuse affaire qui s’est tout de même conclue par l’exécution du colonel Mouammar Khadafi par l’armée française, comme on supprimerait un témoin gênant, Personne n’y comprend rien entend précisément rendre intelligible le procès qui commence. Il revendique son caractère pédagogique à travers un décryptage extrêmement précis qui ne donne évidemment la parole qu’à l’accusation, la défense des prévenus réservant ses arguments pour le prétoire.
Karl Laske
Le premier mérite de Personne n’y comprend rien est d’aller là où les chaînes de télévision n’auront pas les moyens de se rendre, faute de moyens et de temps. Les comptes-rendus de procès se limitent le plus souvent à des reportages expéditifs où l’évocation de l’affaire en jugement ne peut qu’être sommaire, sur des images des prévenus et des avocats entrant et sortant. L’approche de ce film est toute autre car elle se donne les moyens de revenir aux sources et de mettre en perspective les différents événements qui ont abouti à des mises en examen et des inculpations. Son déroulement apparaît d’autant plus troublant qu’il agrège divers dysfonctionnements qui pourraient bien la transformer en une affaire d’État. Le péché originel repose sur un surfinancement illicite qui vient lui-même télescoper des relations diplomatiques internationales extrêmement suspectes dont on peut se demander par quel mystère leurs conséquences funestes ont bien pu échapper à la vigilance du Tribunal Pénal International, qu’il s’agisse du sort de la Libye devenue une terre de non-droit qui rançonne les migrants en route vers l’Europe ou de la mort suspecte de plusieurs témoins gênants dont la parole manquera au procès. Yannick Kergoat nous offre avec ce film aussi documenté qu’argumenté non pas un réquisitoire, mais plutôt une grille de lecture permettant de suivre en connaissance de cause l’avancée de ce procès en forme de poupée russe qui pourrait bien déboucher sur une affaire beaucoup plus considérable par ses développements géopolitiques en cascade. En espérant que tout le monde finira par y comprendre tout. Du moins l’essentiel.
Jean-Philippe Guerand
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