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“La (très) grande évasion” de Yann Kergoat



Documentaire français de Yann Kergoat (2022), avec Daniel Bertossa, Yves Bertossa, John Christensen, Antoine Deltour, Alain Deneault, Margaret Hodge, Pascal Saint-Amans, Éric Vernier, Margrethe Vestager, Gabriel Zucman… 1h54. Sortie le 7 décembre 2022.





La France détient sans doute le record du nombre de documentaires d’investigation consacrés à l’économie. Renommé pour Les nouveaux chiens de garde (2011) qui démontrait l’existence de réseaux d’influence dans les plus hautes strates de la société hexagonale, Yannick Kergoat fait cette fois équipe avec l’écrivain polémique Denis Robert pour mettre en évidence l’existence d’un système conçu dans le but ultime de favoriser l’évasion fiscale et de garantir une impunité à peu près totale à tous ceux qui la pratiquent, en déjouant toutes les réglementations en usage. Quitte à imaginer des stratagèmes d’une perversité illimitée qui témoignent d’une imagination confondante. Au-delà de ce phénomène fort répandu, cette démonstration magistrale l’associe à l’essor simultané de la mondialisation et du néo-libéralisme à l’aube du troisième millénaire. Le film transcende cette thématique a priori rébarbative à grands renforts d’artifices ludiques de nature à rallier à sa cause le public le moins féru en économie, mais sans doute aussi le plus réceptif à son discours alternatif, dans la mesure où c’est un bien. commun qui est pillé. Il ne s’agit pas pour autant de procéder à des raccourcis expéditifs ou des démonstrations hâtives. La gravité de la thématique ne saurait s’accommoder d’une quelconque approximation. L’enjeu exige une grande hauteur de vues.





À l’image de son titre en forme de jeu de mots pour cinéphiles, La (très) grande évasion se livre à une démonstration magistrale autour d’un système conçu par les puissants pour les puissants. La difficulté de cette entreprise ambitieuse consistait à s’imposer après les multiples enquêtes télévisuelles qu’a déjà suscité cette thématique épineuse. Avec un atout majeur : une liberté que n'autorisent pas les financements audiovisuels. Et aussi un obstacle rédhibitoire qui a limité considérablement l’audience des Nouveaux chiens de garde : une pression exercée à l’encontre des médias traditionnels par les capitaines d’industrie évoqués dans cette enquête. La stratégie développée par Yann Kergoat consiste à accompagner autant que possible son film de débats publics, dans l’objectif de faire réagir le public aux différentes problématiques qu’il aborde, alors même que les médias traditionnels risquent de se montrer frileux à l’idée de propager un discours aussi subversif. C’est le prix nécessaire à payer pour s’assurer que le film rencontre son public et, qui sait, réussisse à susciter des réactions parmi le grand public et à amorcer une évolution des mentalités. Avec pour corollaire un processus de très longue haleine dont on pressent toutefois qu’il s’insère lui-même au sein d’une évolution des mœurs d’une toute autre ampleur. C’est l’apanage des œuvres susceptibles de changer le monde, ou tout au moins de contribuer à le faire évoluer. Telle est l’ambition de ce brûlot documenté qui égrène des vérités auxquelles les médias traditionnels ne s'intéressent que trop peu.

Jean-Philippe Guerand









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