Film belgo-français de Fabrice du Welz (2024), avec Anthony Bajon, Alba Gaia Bellugi, Alexis Manenti, Sergi López, Laurent Lucas, Guillaume Duhesme, Béatrice Dalle, Mélanie Doutey, Jackie Berroyer, Félix Maritaud, Lubna Azabal… 2h35. Sortie le 15 janvier 2025.
Anthony Bajon et Alexis Manenti
La perspective de voir évoquée à l’écran l’affaire Dutroux n’est pas franchement une promesse très attirante. Pour avoir manifesté à travers ses films une attirance vers des sujets parfois scabreux, le réalisateur belge Fabrice du Welz semblait tout indiqué pour se frotter à un tel défi. Il opte volontiers pour une approche qui nous préserve (relativement) du pire en adoptant le point de vue des enquêteurs, des fonctionnaires de police habitués aux enquêtes de routine et confrontés à une affaire criminelle à laquelle rien ni personne n’aurait pu les préparer. Le nom de code qui désigne cette chasse à l’homme est d’ailleurs significatif en soi. Il se réfère aux “Chants de Maldoror” publiés par Isidore Ducasse sous le pseudonyme du comte de Lautréamont, un ouvrage poétique dominé par une figure démoniaque assimilée ici à un pédophile aussi minable qu’insaisissable. Adepte d’une certaine stylisation, le cinéaste décrit cette traque cahotique menée dans la clandestinité comme une accumulation brouillonne de dysfonctionnements administratifs et d’approximations logistiques qui incite un gendarme du rang à prendre le contrepied de sa hiérarchie et à faire cavalier seul sur un terrain pavé de mauvaises intentions où la faillite de l’État belge profite à l’impunité d’un monstre. Dès lors, cette ténébreuse affaire déclenchée par la disparition de deux jeunes filles devient pour ce fonctionnaire inexpérimenté une croisade obsessionnelle dont ne pourra le libérer que la vérité ultime. Comme s’il se réveillait lui-même d’un cauchemar…
Anthony Bajon et Alba Gaia Bellugi
Le cinéma policier déborde d’enquêteurs individualistes qui dérogent aux règles les plus élémentaires pour mener à bien leur mission, quitte à outrepasser leurs droits. C’est le cas du personnage incarné par l’excellent Anthony Bajon qui comprend que le profil atypique du criminel qu’il doit traquer implique de l’affronter sur un mode alternatif, Sergi López et Laurent Lucas incarnant deux visages symétriques du vice. Avec ce contexte des années 90 en Belgique qui change tout, dans la mesure où au cours de l’ultime décennie du deuxième millénaire, la police communale, la police judiciaire et la gendarmerie nationale se sont livrées à une véritable guerre fratricide qui a eu pour conséquences de laisser le crime prospérer et la résolution de certaines affaires ralentie par ces querelles intestines. Un contexte troublé qui inspire au réalisateur de Calvaire (2004) et Inexorable (2022) -titres qui pourraient résumer à eux seuls sa conception du cinéma- une quête labyrinthique dans un univers interlope qui va parfois jusqu’à évoquer l’enfer de Dante, tant la lumière fantomatique de Manu Dacosse et le cadre délabré de l’ancienne cité minière de Charleroi s’avèrent de nature à instaurer une atmosphère oppressante. Comme si le décor avait contaminé ceux qui y vivent. Au-delà de son aspect glauque et gluant, ce film crépusculaire atteint une sorte de point de non-retour, en décrivant un monde déshumanisé au point de ne plus parvenir à distinguer le bien du mal dans lequel les criminels ne semblent pas vraiment pires que ceux qui sont chargés de les empêcher de nuire, tant la misère sociale a tout gangrené sur son passage. Le dossier Maldoror est une œuvre radicale et sans concessions qui a le mérite de s’abstraire de la moindre complaisance. C’était la moindre des choses.
Jean-Philippe Guerand
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