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“Totto-Chan, la petite fille à la fenêtre” de Shinnosuke Yakuwa



Madoigwa no Totto-chan Film d’animation japonais de Shinnosuke Yakuwa (2023), avec (voix) Liliana Ôno, Koji Yakusho, Shun Oguri, Anne Watanabe, Karen Takizawa… 1h54. Sortie le 1er janvier 2025.





L’anime japonais est devenu désormais un genre à part entière qui offre de multiples facettes. Parmi celles-ci figure une thématique mémorielle qui puise son inspiration pendant la Seconde Guerre mondiale, une période qui incarne le passage contraint et accéléré de la tradition à la modernité à travers la résistance féroce de l’Empire du Soleil Levant contre les assauts américains consécutifs au désastre de Pearl Harbour. Jusqu’aux bombes atomiques d’Hiroshima et Nagasaki qui mettront un terme accéléré aux combats. Il y a tout juste un an, Hayao Miyazaki en faisait la toile de fond de son testament cinématographique, Le garçon et le héron. Associé jusqu’alors à plusieurs épisodes de la série à succès Doraemon, Shinnosuke Yakuwa a puisé simultanément dans un roman autobiographique de Tetsuko Kuroyanagi publié l’année de sa naissance, 1981, l’inspiration d’un autre film d’apprentissage, au féminin celui-là, Totto-Chan, la petite fille à la fenêtre, couronné du prix Paul Grimault au festival d’Annecy. On y découvre une gamine frondeuse mais exquise qui grandit dans un pays au bord du chaos où les adultes ne sont pas tous des exemples à suivre, loin de là. Un mélange des genres périlleux mais fort convaincant dont la jeune héroïne affiche un individualisme provocateur qui tranche délibérément avec l’unité nationale à laquelle s’accroche son peuple pour préserver l’intégrité de son empire qui a toujours refusé de s’ouvrir au monde extérieur, de crainte d’y perdre son identité.





Comment grandir en toute insouciance quand le monde s’effondre autour de soi et que les adultes dévoilent leur visage le moins glorieux ? Telle est la question épineuse à laquelle tente de répondre ce film qui n’esquive jamais ses responsabilités. Bien qu’il utilise les multiples ressources de l’animation et les décline sous plusieurs formes esthétiques distinctes, son propos ambitionne de s’adresser au public le plus large possible sans rien simplifier ni édulcorer. C’est ainsi que les cinéphiles trouveront dans sa description de l’enfance des correspondances évidentes avec certains films traditionnels dont le fameux Gosses de Tokyo (1933) de Yasujirō Ozu. Respectant scrupuleusement la volonté de l’autrice qui a lu et amendé son adaptation après s’être jurée pendant trois décennies qu’elle ne vendrait jamais les droits de son livre, Shinnosuke Yakuwa met en parallèle la tragédie nationale que vivent les adultes avec le havre de paix que constitue pour les enfants l’école Tomoe où ils semblent comme protégés des fracas du monde extérieur par la pédagogie d’un directeur visionnaire qui n’a cure d’endoctriner ses élèves mais de les protéger de la barbarie ambiante. Totto-Chan, la petite fille à la fenêtre est en cela un film d’une grande subtilité qui réussit à passer du rire aux larmes comme c’est le cas dans la vie. Avec çà et là des séquences dont le réalisateur a choisi de confier l’illustration à des animateurs extérieurs afin qu’ils puissent y imprimer leur style sans trahir l’esprit de l’ensemble et en célébrant le style vintage de l’illustratrice initiale du roman, Chihiro Iwasaki. Mais gare au ton faussement primesautier de cette histoire : il n’est là que pour servir une chronique d’apprentissage qui ne recule jamais devant ses responsabilités et reflète la nature explosive et spontanée de son héroïne.

Jean-Philippe Guerand






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