Kimitachi wa dō ikiru ka Film d’animation japonais de Hayao Miyazaki (2023), avec (voix) Masaki Suda, Soma Santoki, Takuya Kimura, Almyon, Kô Shibasaki, Yoshino Kimura, Shôhei Hino, Jun Kunimura, Kaoru Kobayashi, Keiko Takeshita, Jun Fubuki, Sawako Agawa, Shinobu Ôtake… 2h04. Sortie le 1er novembre 2023.
Sa mère ayant péri dans un incendie, Mahito part s’installer avec son père dans le village où a grandi la disparue. Perdu dans un vieux manoir, l’adolescent noue une étrange relation de complicité avec un héron cendré qui va l’aider à comprendre le monde qui l’entoure et à grandir dans un contexte pour le moins tourmenté. Officiellement retiré du cinéma depuis 2013, le maître japonais du cinéma d’animation est revenu sur sa décision avec l’intention de transmettre un message très personnel à son petit-fils, en lui expliquant qu’il disparaîtrait un jour. À son habitude, le réalisateur a puisé dans la fiction divers éléments de nature à nourrir ses préoccupations les plus intimes. En l’occurrence, deux romans situés dans l’immédiat Avant-Guerre, c’est-à-dire au cours d’une période antérieure à la naissance du cinéaste, mais publiés à sept décennies de distance : “Et vous, comment vivrez-vous ?” de Genzaburō Yoshino et “Le livre des choses perdues” de John Connolly. Le film mêle trois influences différentes : une évocation de la montée des régimes autoritaires dans les années 30, la chronique d’apprentissage d’un adolescent privé de sa maman et un conte fantastique où le jeune héros se réfugie pour affronter le réel. On retrouve là le goût du cinéaste pour le mélange des genres, mais aussi une élégance qui s’accommode d’un surnaturel proche du merveilleux et d’une conviction écologiste dont la modernité justifie d’autant plus l’anachronisme assumé que Miyazaki s’adresse par définition en priorité à un public qui a l’âge de son petit-fils. Il sème par ailleurs ces petits cailloux blancs dont il a le secret, qu'il s'agisse de touches poétiques, de références historiques ou d'éléments symboliques, à l'image de cette porte vers le temps croisée récemment au cœur d’un autre anime, Suzume.
Le garçon et le héron est un film d’une richesse sémiologique rare qui brasse autant de thèmes que de références et assume son statut probable de testament artistique. Devenu une véritable légende de son vivant, Hayao Miyazaki apporte ici beaucoup d’eau au moulin de ses admirateurs. Il a tenu toutefois à manifester une insigne modestie, conforme à sa réputation, lors de la sortie de son dernier opus au Japon, le 14 juillet dernier. Non seulement le réalisateur n’a accordé aucune interview, mais le film n’a pas bénéficié de la moindre promotion : ni projections de presse, ni publicité, ni même une bande-annonce, ce qui aurait pu équivaloir pour n’importe quel autre artiste à un sabordage organisé. Ce parti pris radical n’a toutefois pas empêché le film de remporter un immense succès populaire, malgré un propos dont la complexité assumée a incité le cinéaste à s’adresser avec humour aux employés du Studio Ghibli en ces termes : « Peut-être que vous n'avez pas compris le film. Moi non plus je ne le comprends pas. » Le fait est que le scénario s’avère d’une richesse exceptionnelle qui nécessite sans doute de voir plus d’une fois ce film foisonnant pour en apprécier toutes les nuances. Sur le plan purement formel, Miyazaki établit un contraste saisissant entre ses personnages principaux, beaux comme des gravures de mode, et d’autres qui appartiennent plutôt à un bestiaire grotesque, à l’instar de ces vieilles dames ricanantes et cancanières qui semblent échappées d’un monde parallèle. Le cinéaste prend ainsi un malin plaisir à semer de minuscules indices et à entretenir le mystère autour de ce film labyrinthique pas toujours très charitable vis-à-vis de l’histoire du Japon et de sa tentation de toute-puissance. Le garçon et le héron est ce qu’on a coutume d’appeler un classique instantané. Une merveille absolue à voir et à revoir pour en explorer la richesse infinie.
Jean-Philippe Guerand
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