Documentaire français de Virgil Vernier (2024), avec Zakaria Bouti, Mina Gajovic, Victoire Song… 1h17. Sortie le 4 décembre 2024.
Victoire Song
Cinéaste inclassable, Virgil Vernier œuvre dans une marge où les durées sont particulièrement variables et pratique volontiers la confusion des genres. Derrière son titre accrocheur, son nouvel opus s’inscrit dans la continuité directe de son précédent film sorti en salles, le court métrage Sapphire Crystal (2019), depuis lequel il en a tout de même tourné trois autres. Il s’y attache à des jeunes gens qui vivent aux crochets des ultra-riches installés à Monaco et savourent le luxe et ses fastes, le plus souvent en vendant leur corps à prix d’or. Difficile de savoir où s’arrête le documentaire et où débute la fiction. Vernier donne un supplément d’âme à ses protagonistes rompus aux mœurs du Rocher pour mieux s’intégrer, même s’ils semblent condamnés à rester les pauvres corvéables à merci de leurs clients et maîtres auxquels ils se livrent corps et âme pour quelques poussières d’étoiles. Pour des raisons évidentes, le film ne les montre qu’entre eux, dans le hors-champ de leurs activités. Mais, comme souvent chez Vernier, les mots sont suffisamment évocateurs pour s’abstraire des images. Le réalisateur n’a par ailleurs pas son pareil pour s’immiscer parmi leur intimité et se faire oublier, en transgressant les codes du conte de fées traditionnel. Au point de s’approcher si près des corps et des visages qu’il impose à son film une esthétique sophistiquée que d’autres sont contraints de fabriquer avec des moyens prohibitifs pour leur donner un minimum de chair.
Victoire Song et Mina Gajovic
100 000 000 000 000 (cent mille milliards) s’attache à des travailleurs du sexe qui ne se font aucune illusion sur leur activité, mais en profitent sans états d’âme. Chez eux, il est beaucoup question d’argent, de luxe et de profit, mais jamais de morale ou de sentiments. Ses protagonistes revendiquent par ailleurs l’insolence de leur jeunesse. Il suffit de les voir se préparer pour une soirée avec une coquetterie de midinette comme des adolescents se pomponnent pour se rendre à une fête. À cette nuance d’importance que leur façon de s’apprêter et de se maquiller dénote une expertise professionnelle malgré leur jeune âge. Dès lors, la posture du film qui consiste à montrer l’avant et l’après plutôt que le pendant de leurs activités s’avère passionnante et balaie la tentation du naturalisme, du glauque et du sordide autour d’un sujet ô combien propice aux fantasmes : la prostitution de luxe. Il convient de louer ici la performance de Virgil Vernier et la façon dont sa caméra flirte avec ses personnages sans jamais trahir leur spontanéité et leur relative innocence, mais en s’accrochant à la puérilité de leurs rêves. Certes, leur activité est illicite (sont-ils même tous majeurs ?), mais l’un des propos du film consiste à affirmer que l’argent autorise tout, surtout quand il est partagé ou échangé. Au spectateur de méditer sur ce propos et de s’interroger sur ce microcosme monégasque où tout semble possible et où rien ne semble interdit, du moment que quelqu’un paie. Mais sans doute est-ce aussi le cas dans ces fameuses monarchies du Golfe Persique où prospèrent désormais des influenceurs qui n’étaient le plus souvent rien dans leur pays d’origine.
Jean-Philippe Guerand
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