Film belgo-franco-japonais de Guillaume Senez (2024), avec Romain Duris, Judith Chemla, Mei Cirne-Masuki, Yumi Narita, Shungiku Uchida, Patrick Descamps, Shinnosuke Abe… 1h38. Sortie le 13 novembre 2024.
Romain Duris (à gauche)
Un Français sillonne Tokyo à bord de son taxi. Immédiatement affleure le souvenir de Perfect Days de Wim Wenders. La teneur du film du réalisateur franco-belge Guillaume Senez est pourtant toute autre. Son protagoniste est en fait guidé par une obsession qui hante ses jours et ses nuits : renouer le contact avec la fille unique née de sa liaison avec une autochtone dont il s’est séparé. Une situation invivable au Japon où la loi favorise systématiquement les citoyens de son pays par rapport aux concubins étrangers contraints de pourvoir aux besoins de leurs enfants mais déchus de leurs droits parentaux. Un abus inhumain de la préférence nationale qui sous-tend le scénario de ce film porté par Romain Duris qui livre une composition impressionnante mais jamais caricaturale, tant son déchirement de père obstiné contraste avec son intégration, son usage de la langue et sa connaissance des mentalités locales. Une part manquante pointe du doigt une situation absurde à travers la quête de cet homme amputé d’un morceau de lui-même qui n’a aucune assurance d’exister pour cette fille qu’il n’a pas vue depuis sa prime enfance, mais qu’il surveille à distance, tout en appréhendant autant qu’en l’espérant une rencontre éventuelle qui établirait un premier lien ténu entre eux.
Romain Duris et Shungiku Uchida
D’un phénomène de société singulier et passablement inhumain, Guillaume Senez tire une chronique sensible et pleine de tact qui évite à la fois les pièges du mélodrame et du film à thèse. Il adopte le point de vue du père, conscient de l’aberration de la situation dont il est la victime, mais cramponné à une obsession devenue sa raison de vivre et de ne pas retourner en Europe. Une histoire de paternité contrariée comme en a souvent traité Paul Schrader qui oppose ici de purs sentiments à une législation d’un autre âge. Le point de vue du film épouse le regard de cet étranger apparemment intégré sur une société qui lui est à la fois familière et hostile et où il est condamné à rester pour toujours un “gajin” (littéralement quelqu’un de l’extérieur). La puissance des sentiments porte depuis toujours le cinéma de ce réalisateur remarqué pour Keeper (2015), une romance adolescente, et Nos batailles (2018), déjà interprété par Romain Duris, dans lequel un homme se trouvait également confronté à ses responsabilités de père. Un thème devenu obsessionnel qu’il traite frontalement, sans jamais hésiter à pousser ses interprètes dans leurs ultimes retranchements et à opter pour le choix des larmes sans verser pour autant dans le pathos. Il émane d’Une part manquante une émotion sourde et lancinante qui reflète le contraste sur ce registre entre des Occidentaux volontiers en proie au lâcher-prise et des Japonais davantage portés vers la retenue. C’est d’ailleurs dans cet entre-deux que s’aventure ce film qui nous laisse une boule en travers de la gorge, mais se refuse à la moindre complaisance.
Jean-Philippe Guerand
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