Film germano-japonais de Wim Wenders, avec Kôji Yakusho, Tokio Emoto, Arisa Nakano, Aoi Yamada, Yumi Asô, Sayuri Ishikawa, Tomokazu Mira, Min Tanaka… 2h03. Sortie le 29 novembre 2023.
Wim Wenders est comme un chat qui ne parviendra jamais au terme de ses neuf vies. Il y a plus d’un demi-siècle qu’il se renouvelle en investissant les zones les plus secrètes du cinéma. Avec cet irrésistible tropisme pour le Japon qui lui a déjà valu d’y tourner deux documentaires : Tokyo-Ga (1985), une évocation du pays à travers sa passion pour le cinéaste Yasujirō Ozu, et Carnets de notes sur vêtements et villes (1989) consacré au couturier Yohji Yamamoto. Il y situe aujourd’hui pour la première fois un film de fiction en s’immergeant au cœur même de cette civilisation qui le fascine. Le protagoniste de Perfect Days est un fonctionnaire solitaire qui a largement dépassé le cap de la retraite telle que nous la concevons, nous autres Occidentaux forts de notre modèle social. Alors il assure avec une conscience professionnelle sans défaut la maintenance et la propreté des toilettes publiques du centre de Tokyo à bord d’une camionnette adaptée à ses besoins autant qu’à ses envies. C’est un employé zélé qui accomplit sa tâche quotidienne inlassablement, quand ce n’est pas en compagnie d’un jeune homme velléitaire qui ne partage pas vraiment son perfectionnisme. Au gré de ses trajets, notre anti-héros toujours joyeux s’arrête régulièrement pour photographier la cime des arbres, en se laissant bercer par les cassettes de standards américains des années 60 et 70 qu’il glisse avec délicatesse dans son autoradio. Comme ostensiblement hermétique à l’air du temps…
Yumi Asô et Kôji Yakusho
Ce personnage magnifiquement incarné par Kôji Yakusho, qui a obtenu un prix d’interprétation masculine mérité à Cannes, s’impose comme le double nippon de Wenders à travers les passions qu’il partage avec ce maître incontesté de l’errance et de la nostalgie. C’est dire à quel point Perfect Days peut être considéré comme une œuvre intime de la part d’un géant du cinéma qui est parti jusqu’au bout du monde pour se mettre à nu comme jamais et renouer avec la pureté des origines, celle de l’époque où il était considéré comme un pionnier du Road Movie, sinon son chantre européen fasciné par l’enfant le plus terrible du Nouvel Hollywood : Dennis Hopper qu’il a dirigé dans L’ami américain (1977). Il y a en outre d’évidentes connivences entre Au fil du temps (1976) et son nouvel opus. Ne serait-ce que par son dispositif minimaliste qui confère au moindre geste l’allure d’un véritable morceau de bravoure. Pour s’être égaré depuis le milieu des années 90 dans des scénarios de fiction qui ne le méritaient pas, à l’exception notoire de Don’t Come Knocking (2005), qu’on peut considérer comme un codicille de Paris, Texas (1984), Wim Wenders renoue enfin avec un sujet qui lui correspond et l’inspire. Et cette nuance crève l’écran.
Ce n’est pas un hasard si le réalisateur allemand s’est tourné davantage vers le documentaire depuis quelques années dont le magistral Anselm - Le bruit du temps sorti en octobre dernier. Il a toujours excellé dans l’observation des autres et la méditation poétique, plus que dans la construction de récits alambiqués dont ses incursions ratées dans la science-fiction portent les stigmates. D’où aussi les liens particuliers qu’il a tissés avec des poètes contemplatifs comme Peter Handke ou Sam Shepard dont le langage et les sentiments constituent les vertus cardinales, avec un souci de se situer en quelque sorte hors du temps et dans un espace parfois flou. Il réussit ici la prouesse de s’immerger totalement dans une autre civilisation, dont il ne montre que quelques bribes éparses, en soulignant à quel point l’être humain peut parfois se révéler universel, tout en cherchant à préserver son individualité, à l’image du jardin secret de son dernier protagoniste en date auquel n’ont pas accès les intrus, tant ses plaisirs sont solitaires. La puissance de Perfect Days réside précisément dans cette caractéristique qui constituait aussi l’une des spécificités premières d’une des idoles de Wenders : cet Ozu dont le mystère demeure impénétrable, mais dont l’œuvre affiche une modernité qui ne doit rien aux modes. De là à interpréter ce film magnifique comme un testament spirituel…
Jean-Philippe Guerand
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