Film américano-britanno-français de Coralie Fargeat (2024), avec Demi Moore, Margaret Qualley, Dennis Quaid, Hugo Diego Garcia, Gore Abrams, Matthew Géczy, Phillip Schurer, Olivier Raynal, Tiffany Hofstetter, Tom Morton, Jiselle Henderkott, Axel Baille, Daniel Knight, Vincent Colombe, Oscar Lesage, Louis Greggory, Robin Greer… 2h21. Sortie le 6 novembre 2024.
Margaret Qualley
Le cinéma français vit actuellement une mutation en profondeur qui lui vaut d’investir des domaines qui lui semblaient jusqu’alors interdits. Julia Ducournau a ouvert la voie en remportant la Palme d’or à Cannes avec Titane (2021), une fable futuriste sous l’influence de l’écrivain de science-fiction américain Philip K. Dick et du réalisateur canadien David Cronenberg. C’est aujourd’hui au tour d’une autre réalisatrice française, Coralie Fargeat, remarquée pour Revenge (2017), de passer la beauté éternelle au filtre d’une variation autour du fameux concept de Docteur Jekyll et Mister Hyde dans laquelle une quinquagénaire se voit rajeunir grâce à une substance providentielle qui la transforme ponctuellement en une autre déclinaison d’elle-même dans une course absurde contre le temps ponctuée de phases de vieillissement accélérées. Satire cruelle de la folie pathologique du jeunisme qui repose sur la confrontation de Demi Moore, sexagénaire sur laquelle le temps n’avoir que peu de prises, avec Margaret Qualley, la fille prodigue d’Andie MacDowell. Casting idéal pour une parabole percutante sur la dictature du glamour dont on pressent assez rapidement qu’elle ne pourra que s’achever en tragédie dans une atmosphère décadente qui n’est pas sans évoquer les créatures liftées jusqu’à devenir difformes immortalisées par Terry Gilliam dans Brazil (1985). The Substance raille notre folie sans la moindre magnanimité et décrit les ravages d’une civilisation en proie à sa propre vanité où le paraître est en passe de se substituer à l’être dans une course éperdue contre l’inéluctabilité de l’horloge biologique.
Demi Moore
L’une des plus grandes qualités du scénario conçu par Coralie Fargeat consiste à faire l’impasse sur les explications nécessairement oiseuses qui nécessiteraient des efforts considérables pour un résultat dérisoire. Elle nous place en quelque sorte devant le fait accompli et ne cherche jamais à trouver des circonstances atténuantes à sa double héroïne. La mise en scène va au bout de son propos et même au-delà. Dans ce monde trop aseptisé pour être vraiment immaculé, la moindre faute de goût explose comme un signe de décadence et reflète un malaise grandissant dans une sorte de geste tachiste suprême. À trop passer d’un corps à l’autre, la femme devient de plus en plus vulnérable, s’use et finit par se détériorer comme une belle mécanique se détraque. L’image est saisissante, la parabole limpide. Cette grande illusion n’a qu’une espérance de vie limitée et Coralie Fargeat n’éprouve aucune pitié pour cette femme dépossédée d’elle-même au point de ne plus être capable de se reconnaître. Ce que montre The Substance, c’est bien le danger associé aux manipulations physiologiques et l’absurdité de cette course en avant éperdue dont le but s’éloigne en même temps qu’il se rapproche, avec comme arbitre des élégances ce vieux beau imbu de lui-même qu’incarne Dennis Quaid dans une sorte de réplique à l’ère de la télé-réalité du monsieur Loyal impitoyable immortalisé par Peter Ustinov dans Lola Montès (1955) de Max Ophuls. Ce film décrit un monde sans pitié dont les protagonistes se comportent comme des spectres égarés dont la vie a perdu tout sens ou presque et nous renvoie un reflet effrayant de ce que nous risquons de devenir à plus ou moins brève échéance. Comme la prophétie grinçante d’un monde sans pitié où tout serait matière à spectacle.
Jean-Philippe Guerand
Commentaires
Enregistrer un commentaire