Return to Reason Films français de Man Ray (1923-1928), avec Kiki de Montparnasse, Man Ray, Georges Auric, Marie-Laure de Noailles, Lily Pastré, Jacques-André Boiffard, Robert Desnos… 1h10. Sortie le 13 novembre 2024.
Kiki de Montparnasse
Un siècle pile après Le retour à la raison (1923), premier film improvisé par l’artiste et photographe surréaliste américain Man Ray (1890-1976) et projeté dès le lendemain de sa réalisation avant une représentation de la pièce de théâtre de Tristan Tzara “Le cœur à gaz”, Jim Jarmusch s’est associé avec son compère Carter Logan, sous l’égide du duo Sqürl, primitivement dénommé Bad Rabbit, pour mettre en musique ce premier court métrage en l’imbriquant étroitement avec les trois suivants : le ciné-poème Emak Bakia (1926), L’étoile de mer (1928) et Les mystères du château de Dé (1929). Une expérience cinématographique unique qui démontre la modernité intemporelle de ces images et déborde de symboles puissants. La bande originale n’essaie jamais de se substituer à la puissance visuelle de ces images montrées aujourd’hui presque exclusivement dans les cinémathèques et les musées. Elle les rend accessibles à de nouvelles générations qui y verront sans doute une sorte de long clip dont certaines images résonnent dans un écho inattendu avec notre époque par leur audace et leur harmonie. La splendeur de ces images éternelles est le reflet de la tempête qui grondait sous le crâne d’un artiste issu du dadaïsme, résolument à l’écart des modes et du tape-à-l’œil. Il suffit de le voir jouer sur les lignes, les briser et les reconstruire pour mesurer la liberté avec laquelle il entreprend de faire bouger ses images en exaltant la beauté sous toutes ses formes et en définissant une harmonie très personnelle. Avec en prime la présence d’une divine créature des Années Folles, Kiki de Montparnasse, lumineux objet du désir qu’il prend un malin plaisir à magnifier.
L’étoile de mer (1928)
La modernité de Man Ray crève l’écran dans cette superbe restauration qui témoigne de multiples audaces et d’un goût de la beauté à toute épreuve. Installé à Paris en 1921, il s’intègre parmi les surréalistes et collabore avec le couturier Paul Poiret en s’imposant comme un pionnier de la photo de mode, tout en immortalisant les peintres et les écrivains de l’époque pour le magazine “Vanity Fair”. Ses quatre films témoignent de son imagination débordante, mais aussi de la liberté dont bénéficient les artistes de l’époque, Les mystères du château de Dé bénéficiant ainsi du soutien inestimable de la mécène et vicomtesse Marie-Laure de Noailles qui soutiendra également Le sang d’un poète (1929) de Jean Cocteau et L’âge d’or (1930) de Luis Buñuel. Beaucoup moins connu du grand public car projeté essentiellement dans les musées et les expositions, Retour à la raison témoigne aujourd’hui du bouillonnement d’une Entre-Deux guerres dont la modernité intemporelle continue à stupéfier par ses audaces formelles, qu’il s’agisse de son esthétique ou des coqs-à-l’âne qui nourrissent son montage. C’est ce qu’a compris Jim Jarmusch en mettant sa gloire au service d’une exhumation nécessaire. Il y a plus de modernité et de folie dans ces quatre courts métrages que dans la quasi-totalité des œuvres contemporaines. Peut-être parce qu’ils témoignent des vertus suprêmes de l’écriture automatique et demandent au spectateur de mettre de côté son cartésianisme pour se laisser porter par des images aussi hallucinatoires que fantasmatiques aujourd’hui soutenues par une partition musicale jamais envahissante ni redondante. Man Ray apparaît ainsi dans une modernité rien moins qu’insolente dont la redécouverte s’impose opportunément, tout juste quelques semaines après la sortie du biopic de celle qui fut l’une de ses disciples, Lee Miller.
Jean-Philippe Guerand
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