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“L’ombre du commandant” de Daniela Völker



The Commandant’s Shadow Documentaire américano-israélo-polono-britanno-allemand de Daniela Völker (2024), avec Anita Lasker-Wallfisch, Brigitte Höss, Hans-Jürgen Höss, Ingebirgitt Höss, Kai-Uwe Höss, Maya Lasker-Wallfisch, Rainer Höss… 1h47. Sortie le 6 novembre 2024.



Hans-Jürgen Höss



Voici un documentaire produit par la chaîne HBO qui n’aurait sans doute jamais trouvé le chemin des salles obscures sans le retentissement de La zone d’intérêt de Jonathan Glazer. Il s’attache en effet à la personnalité mystérieuse du fameux commandant d’Auschwitz, Rudof Höss, exécuté par pendaison en 1947 dans le camp qu’il a dirigé, à travers le témoignage d’un de ses cinq enfants, un fils aux allures de grand-père qui a grandi dans cette maison mitoyenne du camp, mais n’a que peu de souvenirs de ce voisinage caché avec l’enfer. Une famille dont le nom reste entaché par l’ignominie d’un militaire zélé et dépourvu de scrupules auquel on impute quelques centaines de milliers de victimes. Simultanément, Daniela Völker s’attache à une rescapée du camp obsédée par cette période et à ses rapports difficiles avec sa propre fille à laquelle elle n’a jamais véritablement parlé de son martyre. Jusqu’au moment où la réalisatrice entreprend de mettre en contact la victime et sa fille avec le fils et le petit-fils de son bourreau. Une rencontre évidemment à haute tension qui ne constitue en fait qu’une étape vers une impossible rédemption, lorsque le trio se rend sur le lieu du crime pour exorciser trop de silences et de non-dits. L’expérience est évidemment intense, mais évite de sombrer dans le pathos en jouant la carte de la résilience salvatrice en appliquant un principe de réalité pour permettre à ces héritiers malgré eux d’accomplir un travail salubre sur eux-mêmes en intégrant ce passé douloureux une fois pour toutes.



Maya Lasker-Wallfisch, Rainer Höss et Hans-Jürgen Höss



L’ombre du commandant repose sur un principe thérapeutique qui consiste à donner la parole à des êtres victimes d’un trop long silence. C’est un fait avéré qu’au retour des camps, les survivants se sont résolus à reprendre leur vie sans se décharger de leur mémoire tatouée sur leurs proches afin d’éviter à la fois de les traumatiser et de les culpabiliser. Au point de faire table rase du passé et de les laisser dans l’ignorance des épreuves qu’ils avaient endurées. Ce n’est qu’une génération plus tard que les héritiers ont ressenti le besoin d’exprimer le poids de cette absence. Un phénomène qui affleure dans le film à travers les rapports compliqués qu’entretiennent Anita Lasker-Wallfisch avec sa fille Maya littéralement écrasée par cet héritage de non-dits. Le petit-fils de Höss, Rainer, symboliquement devenu pasteur comme pour expier des fautes qu'il n’a pas commises mais qui pèsent sur sa conscience, lui, choisit de confronter son propre père à des souvenirs d’enfance auxquels il semble s’accrocher, alors même qu’ils ne constituent que la face trompeuse d’une des pires abominations de la Shoah. Malgré une construction parfois un peu artificielle qui jette un doute quant à la spontanéité de certaines confrontations et des mots qui s’y échangent, ce film s’impose par la nécessité qui le sous-tend : mettre les héritiers en paix avec eux-mêmes, quitte à les confronter à un passé que leurs parents et grands-parents ont jugé bon de leur cacher, sans prendre en compte les enseignements de la psychanalyse sur les vertus salvatrices de la verbalisation. Résultat : un devoir de mémoire utile, mais parfois maladroit par ses artifices de fabrication sans doute excessifs.

Jean-Philippe Guerand





Anita et Maya Lasker-Wallfisch

avec Rainer et Hans-Jürgen Höss


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