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“Au boulot !” de Gilles Perret et François Ruffin



Documentaire français de Gilles Perret et François Ruffin (2024), avec Sarah Saldmann, François Ruffin, Louisa Hareb,  Sylvain Dupuis, Amine Boubaker, Mohammed Bouteldha, Illies Azougagh, Pierre Corrue, Ked Makaya Elfie, Jessy Magnier, Enès Morel, Haroon Safi, Nathalie Ricordeau, Nicolas Richard… 1h24. Sortie le 6 novembre 2024.



Sarah Saldmann et François Ruffin



Citoyen tout-terrain, François Ruffin s’est converti au cinéma pour parfaire sa panoplie de défense des opprimés. Son premier long métrage, Merci patron ! (2016), tourné dans la foulée du mouvement Nuit Debout, lui a même valu d’entrée de jeu le César du meilleur film documentaire. Élu député en 2017, il soutient l’action des Gilets jaunes et s’associe avec le réalisateur Gilles Perret pour en témoigner dans J’veux du soleil (2019) que suit Debout les femmes ! (2021) dans lequel il entraîne son collègue Bruno Bonnell à la rencontre des métiers du lien dans le cadre d’un projet de loi dont la nécessité les a rapprochés. Ruffin en reprend aujourd’hui le principe dans Au boulot ! en demandant à une avocate rencontrée sur le plateau des “Grandes gueules” de RMC aux convictions libérales décomplexées de l’accompagner dans un véritable voyage initiatique au cœur de la France profonde. On se doute que le choc est tellurique pour cette femme plongée dans un monde dont elle ignore tout et confrontée à la misère endémique la plus tragique, en essayant de survivre du Smic pendant trois mois. Et la méthode de Ruffin fonctionne, notamment quand Sarah Saldmann fond en larmes (et lui demande d’arrêter de la filmer) lorsqu’elle se trouve confrontée à des personnes âgées sur lesquelles veillent des aidants dévoués mais eux-mêmes en situation précaire. Le masque tombe peu à peu, mais le naturel revient au galop quand la Fashion Victim évoque les articles de luxe qui la font rêver et dont elle stocke les photos sur son portable comme un objectif de vie.



Sarah Saldmann (à gauche)



Le dénouement masque mal que Ruffin a échoué dans sa croisade et consiste en une sorte de fête qui réunit les protagonistes en l’absence remarquée de Sarah Saldmann qui disparaît sans explication. Et c’est là où le bât blesse. L’ex-député de la France insoumise s’aligne sur la position de ce parti qu’il a quitté depuis pour contester la position unilatérale de l’absente sur Gaza, mais sans lui laisser la moindre occasion de se justifier. Une phrase malheureuse dont pouvait aisément se passer ce film militant et roublard, mais moins rigoureux que les précédents. La méthode Ruffin a fait ses preuves. Elle consiste pour ce petit chimiste à mettre en présence des gens qui n’auraient jamais dû se rencontrer pour observer leurs réactions. Sarah Saldmann joue le jeu dans tricher et semble parfois réellement affectée par ce monde dont elle ignorait tout. Ces confrontations témoignent d’un pays schizophrène dont les extrêmes s’opposent d’autant plus qu’ils ne sont jamais en présence les uns des autres : Parisiens et provinciaux, citadins et ruraux, riches et pauvres, etc. Le bras que leur tend Ruffin n’est toutefois pas destiné à les rapprocher ni à instaurer le dialogue entre eux, mais à servir une vision manichéenne de la société dont on est en droit de contester la méthode. Mais ne soyons pas dupes : c’est avant tout son image qu’il sert.



Sarah Saldmann (à gauche)



Autant le périple de François Ruffin avec Bruno Bonnell semblait fructueux, autant son équipée avec Sarah Saldmann évoque l’une de ces comédies hollywoodiennes où des personnages transportés dans un autre monde finissent par se retrouver dans leur univers originel sans avoir changé pour autant. Les meilleures intentions n’accouchent pas toujours des démonstrations les plus convaincantes. Au boulot ! ressemble un peu à une expérience de chimie où le mélange de substances étrangères provoque des effets spectaculaires mais éphémères, sans modifier pour autant la composition des divers éléments. À trop s’en remettre à son engagement et à sa bonne humeur, assombrie ici par l’amertume et la désillusion qui ont préludé à son départ de LFI et à son échec aux élections législatives, François Ruffin a fini par négliger le caractère dialectique du cinéma au profit de sa fonction de spectacle ludique et parfois manipulateur. Gilles Perret aurait dû le mettre en garde contre ses mauvais démons. C’est précisément l’intérêt de travailler en binôme que de bénéficier d’un recul supplémentaire et de ne pas passer du statut de populaire à celui de populiste en répondant à la question : “Peut-on réinsérer les riches ?”

Jean-Philippe Guerand





François Ruffin

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