Sobre todo de noche Film hispano-portugo-français de Víctor Iriarte (2023), avec Lola Dueñas, Ana Torrent, Manuel Egozkue, María Vázquez, Katia Borlado, Lina Rodrigues, Maria Abreu, Izaro Alzaga, Clementina de Jesus Crista, Fernando Egozcue, Clara Eito, Mariana Agustina Arrese Giménez, Oleksiy Mateychuk, Manuel Ortuño, Almudena Ruiz, Markel Ruiz… 1h49. Sortie le 17 juillet 2024.
Lola Dueñas et Ana Torrent
Deux mères pour un fils. L’une se l’est vu enlever à la naissance, l’autre l’a adopté puis élevé. Vingt ans plus tard, elles vont s’unir pour obtenir la réparation qui leur est due et faire justice elles-mêmes avec la complicité du jeune homme. Víctor Iriarte traite sur le mode du thriller d’un sujet de société inspiré d’une affaire authentique survenue en 1996, lorsque les orphelins d’un pensionnat ont été avisés par des lettres anonymes de l’identité véritable de leurs parents biologiques. Du traditionnel affrontement inégal entre le citoyen isolé et une administration dévoyée par le franquisme agonisant, le réalisateur espagnol tire une belle histoire d’amitié féminine et même de sororité en s’appuyant sur deux des meilleures actrices du cinéma espagnol contemporain : Lola Dueñas, l’une des interprètes fétiches de Pedro Almodóvar, et Ana Torrent, l’inoubliable gamine de Cria cuervos revue l’été dernier dans Fermer les yeux. Une association singulière qui résume à elle seule le propos du film justifié par une intrusion inopportune de l’administration au cœur même de l’intime, c’est-à-dire dans un véritable sanctuaire. Si outrage il y a, il repose sur une conception abusive de ce que devrait être la sphère personnelle dans une société en bonne et due forme. Or, à travers cet abus de pouvoir et ses conséquences humaines, cette vengeance de femmes dénonce un authentique scandale d’état provoqué par un dysfonctionnement dont les conséquences sont d’autant plus graves qu’elles mettent en cause des destins.
Manuel Egozkue et Lola Dueñas
Dos madres aborde sur le mode du mélodrame, mais pas seulement, une affaire qui relève de la plus basse politique. On estime en effet officiellement à trois cent mille en quarante ans le nombre de nouveaux-nés enlevés à leurs parents considérés comme “marxistes”, donc déviants dans le contexte de la société franquiste, et confiés à des familles chargées de les guider sur le bon chemin en leur fournissant une éducation en conformité avec le régime. Une pratique également en usage sous le nazisme et reprise à leur compte par certaines dictatures sud-américaines dont l’objectif avoué consistait à engendrer de nouvelles générations de citoyens modèles de nature à assurer la perpétuation du régime. Une authentique entreprise d’endoctrinement moral que Víctor Iriarte aborde du point de vue des victimes à travers le plus improbable des films de vengeance. Il déroge ainsi aux règles traditionnelles du cinéma politique en choisissant pour justicières deux mères qui s’estiment trahies et entendent transformer leurs cas personnels en une véritable croisade pour la vérité dans une Espagne qui semble encore loin d’avoir soldé tous ses comptes avec son passé, y compris les plus intimes. Cette réflexion sur la filiation, donc par extension sur l’alchimie mystérieuse qui s’établit entre l’inné et l’acquis, choisit le mélange des genres comme antidote à ces mémoires trahies et ces enfants volés. C’est une réussite qui n’en perd jamais de vue pour autant le poids de l’émotion, bien que le fils n’y tienne en fait qu’un rôle plutôt passif.
Jean-Philippe Guerand
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