Film irlando-britanno-américain de Yórgos Lanthimós (2024), avec Emma Stone, Jesse Plemons, Willem Dafoe, Margaret Qualley, Hong Chau, Joe Alwyn, Mamoudou Athie, Hunter Schafer, Susan Elle, Merah Benoît, Jess Weiss, Victoria Harris, Julianne Binard, Suzanne Stone, Rikki Chamberlain… 2h44. Sortie le 26 juin 2024.
Jesse Plemons et Emma Stone
En janvier dernier sortait Pauvres créatures, Lion d’or à la Mostra de Venise qui a valu l’Oscar de la meilleure actrice à Emma Stone. Quatre mois plus tard c’est au Festival de Cannes que le réalisateur grec Yórgos Lanthimós présentait en compétition Kinds of Kindness et valait cette fois un prix d’interprétation masculine au partenaire de son interprète fétiche, Jesse Plemons. Au moment où le cinéaste commence le tournage de son opus suivant, on est légitimement en droit de se demander ce qui justifie cette frénésie. Son nouveau film ne raconte d’ailleurs pas une histoire, mais en réunit trois qui ont en commun les mêmes acteurs. On peut y voir un exercice de style dans lequel la forme prime le fond et tente tant bien que mal de colmater les brèches d’une narration pour le moins inégale qui rejette par essence le cartésianisme. Le film est trop souvent le reflet de cette inconséquence ludique. Il nous entraîne dans le sillage d’une poignée de personnages aussi pittoresques qu’énigmatiques qui ne cessent de se transformer pour mieux rester identiques au fil de rebondissements parfois futiles sinon carrément inconsistantes. Dès lors, ce sont les acteurs qui focalisent notre attention en multipliant les morceaux de bravoure sans véritable justification dramaturgique. Un peu comme si Lanthimós s’enivrait du spectacle que lui offrent ses interprètes en roue libre.
Hong Chau et Jesse Plemons
Kinds of Kindness est à l’image de son titre sibyllin qu’on pourrait traduire par “Toutes sortes de gentillesse”. L’intitulé de ses trois sketches n’est guère plus explicite : La mort de R.M.F., R.M.F. vole et R.M.F. mange un sandwich, ledit R.M.F. étant en fait un personnage secondaire qui ne semble intervenir que comme moteur caché des différentes intrigues, quitte à n’apparaître que comme une sorte de point final du dernier, sans autre justification apparente que de justifier son titre, tandis que le générique défile et que les premiers spectateurs commencent à sortir de la salle. Il y a quelque chose d’une blague de potache dans ce film singulier et pluriel qui semble associer l’écriture automatique à une marge d’improvisation concédée aux acteurs, malgré l’association du réalisateur et de son fidèle complice Efthýmis Filíppou, avec lequel il a notamment partagé le prix du scénario au Festival de Cannes pour Mise à mort du cerf sacré en 2017. À l’instar de cette séquence hallucinante où Emma Stone se met à danser, comme mue par une fièvre mystérieuse. Habituer à flirter avec l’absurde voire le grotesque, Yórgos Lanthimós brouille une fois de plus les pistes en signant ce qu’on a coutume d’appeler dans le domaine des séries télé une anthologie. Avec pour fil rouge des interprètes qui osent tout et ont la jubilation communicative, parti pris qui met les trois pans de ce film en écho et instaure d’étranges correspondances entre les personnages et leurs interprètes, jamais ni tout à fait les mêmes ni tout à fait autres. La seule ambition du cinéaste semble consister dès lors à nous divertir sans chercher à refaire le monde. C’est souvent à cette caractéristique qu’on reconnaît les visionnaires. Une espèce en voie de disparition qui défie les modes et les époques.
Jean-Philippe Guerand
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